Prédire le comportement des personnes qui se perdent dans la nature

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De nombreux facteurs dĂ©terminent la rĂ©ussite, ou non, des opĂ©rations de recherche d’une personne perdue dans la nature. Mais certaines analyses comportementales peuvent aussi faire la diffĂ©rence.

Edward Cornell, professeur Ă©mĂ©rite et psychologue Ă  l’UniversitĂ© d’Alberta, au Canada, est un spĂ©cialiste des comportements d’orientation. Un Ă©vĂ©nement tragique, survenu il y a une trentaine d’annĂ©es, a notamment aiguillĂ© le futur de sa carrière, peut-on lire dans New Scientist. Ă€ l’Ă©poque, il avait reçu le coup de fil d’un policier questionnant son expertise dans le but de retrouver un jeune garçon de neuf ans, visiblement perdu.

L’enfant avait disparu d’un camping quelques jours plus tĂ´t, et ses empreintes de pas laissaient Ă  penser qu’il s’Ă©tait dirigĂ© vers un marĂ©cage Ă  quelques kilomètres de sa tente. Ensuite, plus rien. Edward Cornell et son collègue Donald Heth se sont rendus sur place pour apporter leur aide aux forces de police. Mais, ensemble, ils ont finalement rĂ©alisĂ© Ă  quel point ils en savaient peu sur le comportement des enfants perdus.

Quels itinĂ©raires pourraient-ils emprunter ? Ă€ quels points de repère pourraient-ils se rĂ©fĂ©rer ? Jusqu’oĂ¹ pourraient-ils aller ? Tant de questions auxquelles ils n’avaient aucune rĂ©ponse. Au cours des annĂ©es suivantes, les deux chercheurs ont donc explorĂ© le sujet, combinant Ă©tudes comportementales et statistiques.

Les opĂ©rations de recherche impliquent en effet très souvent de sonder de vastes zones avec très peu de moyens. Ainsi, tout ce qui peut aider Ă  rĂ©duire le champ de recherche permet de maximiser les chances de succès de ces opĂ©rations. D’oĂ¹ l’importance de comprendre la manière dont se comportent les sujets.

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Crédits : Hucklebarry/Pixabay

Comportements irrationnels guidés par la peur

Au cours de leurs travaux, les chercheurs se sont alors aperçus que, dans la majorité des cas, les personnes ont tendance à se déplacer énormément et de manière très irrationnelle. Ce qui, malheureusement, nuit aux opérations de recherche.

Kenneth Hill, psychologue Ă  l’UniversitĂ© Saint Mary’s au Canada, l’a notamment constatĂ© dans une Ă©tude menĂ©e il y a quelques annĂ©es. Pour ces travaux, il avait examinĂ© plus de 800 cas en Nouvelle-Écosse et, dans cet Ă©chantillon, seules deux personnes Ă©taient effectivement restĂ©es sur place : une femme de 80 ans et un enfant de 11 ans.

Cette « bougeotte » peut aisĂ©ment s’expliquer. Des millions d’annĂ©es d’Ă©volution ont en effet prĂ©parĂ© nos corps – en rĂ©ponse Ă  tout un cocktail d’hormones – Ă  fuir en cas de menace. Les personnes vĂ©ritablement perdues sont souvent convaincues qu’elles sont en danger (Ă  juste titre). Le fait de vouloir se dĂ©placer est donc finalement un comportement tout Ă  fait naturel.

Par ailleurs, il est Ă©galement connu qu’un stress intense peut rĂ©duire nos capacitĂ©s de rĂ©flexion, mĂªme chez les plus aguerris. En tĂ©moigne une Ă©tude menĂ©e en 2006 par des chercheurs de l’UniversitĂ© de New Haven, dans le Connecticut (États-Unis), auprès de militaires.

Au cours de ces travaux, les chercheurs avaient testé les performances mentales de pilotes et marins confinés dans un faux camp de prisonniers de guerre. Il était alors ressorti que leur mémoire de travail et leur fonctions visuo-spatiales avaient été considérablement réduites, équivalentes finalement à celles observées chez les enfants de moins de 10 ans.

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Des tendances prévisibles, aussi

En poursuivant les recherches, s’appuyant sur les compte-rendus de milliers d’opĂ©rations menĂ©es aux États-Unis, au Canada, en Australie et au Royaume-Uni, Edward Cornell a Ă©galement rĂ©ussi Ă  isoler certaines tendances qui, a priori, semblent universelles.

Par exemple, il semblerait que nous soyons tous attirĂ©s par les « limites ». Autrement dit, intuitivement, nous avons tendance Ă  vouloir nous diriger vers la lisière d’une forĂªt, sur le bord d’un chemin, d’un sentier ou d’un lac. Ces informations sont prĂ©cieuses. Dans le cadre d’une recherche active, cela signifie que nous devons explorer toutes ces zones en prioritĂ©.

Il semblerait Ă©galement que certaines tendances prĂ©visibles varient selon l’Ă¢ge ou l’Ă©tat de santĂ© mental d’une personne.

Selon ces recherches, les enfants paraissent en effet moins susceptibles que les adultes de continuer Ă  bouger, par exemple. D’ailleurs, ceci pourrait peut-Ăªtre expliquer pourquoi 96% d’entre eux sont retrouvĂ©s vivants, contre seulement 73% des adultes.

Les enfants autistes, de leur cĂ´tĂ©, ont tendance Ă  vouloir se rĂ©fugier dans des structures protectrices. Dans des bĂ¢timents, le plus souvent. Ă€ l’inverse, les personnes atteintes de dĂ©mence ont, elles, tendance Ă  se diriger tout le temps en ligne droite.

Autrement dit, diffĂ©rents types de personnes se perdent de diffĂ©rentes manières. Une nouvelle fois, ce type d’informations peut vĂ©ritablement faire la diffĂ©rence, si tant est que nous les ayons Ă  disposition.

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Crédits : MichaelGaida / Pixabay

Les enfants se laissent distraire

Edward Cornell a Ă©galement menĂ© des expĂ©riences en observant la manière dont les enfants se dĂ©placent, mais de manière plus gĂ©nĂ©rale. Entendez par lĂ , dans un contexte oĂ¹ ils ne sont pas perdus. Et encore une fois, ces travaux ont Ă©tĂ© instructifs.

Dans le cadre de l’une de ces Ă©tudes, le chercheur a demandĂ© Ă  une centaine d’enfants Ă¢gĂ©s de 3 Ă  13 ans et habitant en campagne (après accord des parents bien sĂ»r) de le conduire Ă  l’endroit le plus Ă©loignĂ© de la maison oĂ¹ ils avaient Ă©tĂ© par eux-mĂªmes. Le chercheur suivait derrière, enregistrant leurs faits et gestes et leurs itinĂ©raires.

Au terme de cette expĂ©rience, il a constatĂ© que les enfants se dĂ©plaçaient beaucoup plus loin que ce que n’imaginaient leurs parents (22% plus loin en moyenne). Il est Ă©galement ressorti qu’aucun d’entre eux ne se dirigeait de manière directe Ă  l’emplacement ciblĂ©. Ils erraient, zigzaguaient, se laissant souvent distraire par tout et n’importe quoi.

« Certains grimpaient sur une bouche d’incendie pour avoir une meilleure vue, donnaient des coup de pied dans des tas de feuilles, ou jetaient des pierres, explique le chercheur. Ils semblaient suivre leurs inclinations naturelles. Beaucoup d’entre eux ont mĂªme admis librement que nous Ă©tions sur un chemin qu’ils ne connaissaient pas ».

Ces travaux – qui dĂ©taillaient plusieurs observations, comme les vitesses de marche, ou les directions probables empruntĂ©es – ont ensuite Ă©tĂ© publiĂ©s. Quelques mois plus tard, le chercheur a de nouveau reçu un appel d’un policier qui, visiblement, cherchait un enfant perdu. Il s’attendait alors au pire dans la mesure oĂ¹ sa première expĂ©rience, dĂ©taillĂ©e en haut de l’article, ne s’Ă©tait pas bien terminĂ©e (l’enfant n’ayant jamais Ă©tĂ© retrouvĂ©).

En rĂ©alitĂ©, l’officier avait appelĂ© le chercheur pour l’informer que, grĂ¢ce Ă  ses recherches, il venait de retrouver un jeune garçon de trois ans portĂ© disparu, quelques minutes avant que celui-ci ne meure d’hypothermie.

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