L’incroyable voyage sans escale des barges à travers le Pacifique

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Crédits : Thomas Hanahoe

Les chercheurs s’émerveillent devant le vol migratoire exceptionnellement long des barges qui les mène de l’Alaska à la Nouvelle-Zélande à travers le Pacifique en cette période de l’année. Pas question de s’arrêter pour manger ou se reposer en cours de route. Comment expliquer de tels exploits ?

L’océan Pacifique a longtemps été considéré comme une barrière infranchissable pour la plupart des oiseaux terrestres. Cette perspective a depuis été bouleversée par la documentation d’exploits migratoires étonnants. Du fait de l’immensité du Pacifique et de sa complexité climatique, l’étude de ces oiseaux de l’extrême permet de mieux comprendre les phénomènes migratoires fondamentaux. En la matière, le cas de la barge marbrée est particulièrement fascinant.

Un voyage épique

La barge marbrée est une espèce d’oiseaux limicoles de la famille des Scolopacidae. L’une de ses deux sous-espèces, Limosa fedoa beringiae, évolue dans la péninsule d’Alaska. Durant la période septembre/octobre, des dizaines de ces oiseaux profitent des vents favorables pour entamer leur incroyable migration annuelle depuis les vasières du sud de l’Alaska vers les plages de Nouvelle-Zélande et de l’est australien. Ces oiseaux sont à la recherche d’un été sans fin, profitant d’environnements relativement sûrs et garnis de nourriture.

Les barges effectuent ce parcours de plus de 11 000 kilomètres à travers le Pacifique en battant des ailes nuit et jour, sans s’arrêter pour manger, boire ou se reposer. Ce voyage épique, la plus longue migration sans escale d’un oiseau terrestre au monde, peut durer environ dix jours.

Le record de distance connu est actuellement de 13 000 kilomètres. Il a été établi l’année dernière par un mâle adulte qui avait dévié de sa trajectoire sur son chemin vers la Nouvelle-Zélande pour finir en Australie à cause d’intempéries. Cet oiseau avait battu des ailes pendant 237 heures sans s’arrêter. La semaine dernière, il a d’ailleurs de nouveau quitté l’Alaska pour le sud.

En mars, les distances de retour sont encore plus longues, car les barges empruntent une route moins directe. Les oiseaux volent sans escale de la Nouvelle-Zélande à la mer Jaune en Chine et ses riches vasières, où ils font le plein, puis retournent en Alaska. Au cours de ces voyages aller-retour d’environ 30 000 kilomètres, le taux de survie est supérieur à 90 %.

De nouvelles techniques de suivi permettent aujourd’hui d’y voir un peu plus clair sur ces vols que l’on croyait auparavant impossibles.

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Un groupe de barges en Nouvelle-Zélande. Crédits : Peregrine

Des oiseaux construits pour durer

D’autres oiseaux restent en l’air pendant de longues périodes en utilisant une technique appelée « volée dynamique ». Les barges battent quant à elles continuellement des ailes, ce qui prend dépense plus d’énergie. Toutefois, ces « athlètes ultra-endurantes » ont évolué pour permettre ce genre d’épopées.

Les barges sont en effet des oiseaux dits métamorphes, dotés d’une plasticité inhabituelle. Quelques jours avant le grand départ, leurs organes internes subissent une restructuration stratégique. Leurs gésiers, leurs reins, leurs foies et leurs boyaux se rétrécissent pour alléger la charge, tandis que leurs muscles pectoraux se développent, permettant ainsi de supporter les battements d’ailes constants.

Peu avant le départ, ces oiseaux se gavent également d’insectes, de vers et autres mollusques pour doubler leur poids et compter sur la graisse pour alimenter leurs efforts. Cependant, l’énergétique de leur migration sans escale reste globalement incomprise. Les modèles actuels montrent en effet que ces oiseaux devraient s’effondrer après trois ou quatre jours.

Les barges sont aussi construites pour la vitesse avec des ailes aérodynamiques et un corps en forme de missile.

Que les oiseaux dorment ou pas fait encore débat. Il a en effet été démontré que certaines espèces d’oiseaux sont capables d’un sommeil unihémisphérique (qui ne garde qu’une moitié de leur cerveau en éveil pour voler). Cependant, d’autres pensent que les barges ne dorment pas du tout et rattrapent leur sommeil une fois en Nouvelle-Zélande.

Enfin, notez que les poumons de ces oiseaux sont parmi les plus efficaces de tous les vertébrés, permettant d’emmagasiner suffisamment d’air dans la mince atmosphère des altitudes plus élevées. En Russie, certaines barges ont été récemment documentées volant à des altitudes de cinq kilomètres au-dessus du sol.

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Une barge sur une plage de Nouvelle-Zélande. Crédits : Malcolm Schuyl

Orientation et transmission

La question de leur étonnante capacité d’orientation interroge encore les spécialistes. Traverser un océan Pacifique quasi sans relief, et donc sans repères de navigation, nécessite en effet quelques techniques bien huilées. Les barges s’appuient probablement sur plusieurs repères, en particulier le soleil et les étoiles. Certains experts pensent qu’elles pourraient être capables de détecter des lignes magnétiques grâce à un processus appelé intrication quantique.

Rappelons également que de manière générale, les oiseaux possèdent également un talent surnaturel pour les prévisions météorologiques. De fait, ces animaux peuvent prédire quand partir et quand ne pas partir ou encore à quelle hauteur voler.

Enfin, le fait que les jeunes barges fassent des erreurs laisse à penser qu’il ne s’agit pas de comportements purement instinctifs. Cependant, la manière dont les capacités de migration sont transmises à la génération suivante est encore inconnue.