Requins : une mystérieuse extinction de masse il y a 19 millions d’années

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Source : Pixabay

Les requins, sur Terre depuis 400 millions d’années, ont survécu à de nombreuses extinctions massives, dont certaines ont anéanti de nombreuses formes de vie. Mais l’une d’elles, survenue il y a environ 19 millions d’années, a bien failli avoir leur peau, révèlent de nouveaux travaux publiés dans la revue Science. Que s’est-il vraiment passé ? Pour l’heure, on l’ignore encore.

Le corps des requins est recouvert d’écailles placoïdes microscopiques, aussi appelées « denticules dermiques ». Ces dernières fonctionnent comme une armure protectrice, facilitant au passage la nage de ces poissons. Nous savons également que les requins perdent énormément de ces écailles, ce qui les rend communes dans les archives fossiles, et donc très intéressantes aux yeux des paléontologues.

Un mystérieux déclin

Il y a six ans, la docteure Elizabeth Sibert a reçu une boîte de boue couvrant environ 40 millions d’années d’histoire sédimentaire. L’argile, extraite de deux carottes forées dans le fond marin du Pacifique Nord et Sud, contenait des dents de poissons, des écailles placoïdes de requins et d’autres microfossiles marins que la chercheuse, munie d’un microscope et d’un pinceau, a minutieusement prélevé et compté.

Quasiment à mi-chemin de son ensemble de données, elle fut alors surprise de constater un changement brusque dans les archives fossiles.

Il y a environ dix-neuf millions d’années, le rapport des denticules de requin aux dents de poisson avait en effet radicalement changé : les échantillons plus anciens avaient tendance à contenir environ un denticule pour cinq dents (rapport d’environ 20 %), tandis que les échantillons plus récents présentaient des rapports plus proches de 1 %.

Notez cependant que seul le site du Pacifique Sud disposait de données datant d’il y a 19 millions d’années. L’autre carotte proposait des données d’il y a 22 millions à 35 millions d’années et de 11 à 12 millions d’années, mais rien entre les deux.

Toujours est-il que d’après ces échantillons fossiles et sédimentaires, les requins seraient soudainement devenus beaucoup moins communs au début du Miocène. « Nous en avions beaucoup, et puis nous n’en avions quasiment plus », note la chercheuse. « Ces déclins de l’abondance relative et absolue des requins suggèrent que quelque chose leur est arrivé aux il y a environ 19 millions d’années ».

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Denticules cutanés de petite roussette (Scyliorhinus canicula). Crédits : Isurus/Wikipédia

90 % des requins décimés

Pour comprendre s’il s’agissait vraiment d’une extinction, les chercheurs ont voulu comprendre si la diversité (nombre d’espèces) avait également diminué.

Dans le cadre de ces travaux, la docteure Elizabeth Sibert a ensuite collaboré avec Leah D. Rubin, du College of the Atlantic dans le Maine. Ensemble, elles ont classé 798 denticules du Pacifique Sud et 465 du Pacifique Nord en 80 morphologies, formes et structures différentes. Elles ont alors constaté qu’environ 70 % des types de denticules avaient disparu à cette époque.

Les deux spécialistes ont également analysé un ensemble de denticules de requins modernes et ont constaté qu’un autre 20 % de ces morphologies d’événements pré-extinction étaient présentes chez ces derniers, mais pas dans les archives fossiles.

En d’autres termes, ce mystérieux événement d’extinction aurait anéanti entre 70 % et 90 % des espèces de requins et 90 % des requins individuels.

« Franchement, nous sommes choquées que cette période ait connu un événement aussi dramatique », note la Dre Sibert. « Les effets de cette extinction ont probablement été ressentis dans le monde entier ».

Romain Vullo, paléontologue au CNRS à Rennes, juge ces résultats « surprenants », mais souligne que des données supplémentaires provenant d’autres régions du monde seraient nécessaires pour confirmer l’interprétation des auteurs.

« Bien que deux sites aient été analysés, seule la carotte de sédiments du Pacifique Sud a spécifiquement indiqué cet événement d’extinction vieux de 19 millions d’années et le déclin de l’abondance », note le chercheur, interrogé par Livescience. « Il est possible, dit-il, que les données reflètent des changements locaux et non un événement d’extinction mondial ».

Toujours est-il que la cause de ces disparitions reste inconnue. Les chercheurs ne soulignent en effet aucun changement climatique significatif ni aucun impact d’astéroïde à cette époque. «Nous n’en avons aucune idée», a déclaré la Dre Sibert. «Mais c’est un mystère fascinant».