En immersion dans les mers de Titan, à plus d’un milliard de kilomètres

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Illustration du sous-marin à propulsion nucléaire imaginée par la NASA. Crédits : capture d'écran youtube

Que diriez-vous de jouer au capitaine Nemo sur Titan, la plus grande lune de Saturne, et de sonder les profondeurs d’un océan de méthane en esquivant les icebergs d’hydrocarbures à plus d’un milliard de kilomètres du soleil ? Certains y pensent. Au point qu’un jour peut-être, une telle mission pourrait voir le jour.

À certains égards, Titan est le monde qui ressemble le plus au nôtre. Comme la Terre, la lune de Saturne est enveloppée d’une atmosphère épaisse composée principalement d’azote. Et comme sur Terre, il se met parfois à pleuvoir. Mais sur ce monde, quand il pleut, il pleut de l’essence. Ces hydrocarbures, principalement du méthane et de l’éthane liquide (il fait -180°C en surface), se rassemblent parfois en rivières, creusant des canyons à travers des montagnes de suie gelée avant de se jeter dans les lacs et les mers.

Hormis la Terre, Titan se présente en effet comme le seul corps du Système solaire avec des liquides stables en surface. Vous les retrouverez principalement dans régions du nord de la lune. La plus grande de ces mers – Kraken Mare, du nom d’un monstre nordique – est plus grand que tous les Grands Lacs d’Amérique du Nord réunis.

Les travaux de Cassini

Cassini a passé treize années à voguer dans le système saturnien, cartographiant ces caractéristiques en détail.

Le 21 août 2014, la sonde est passée à environ 900 km au-dessus des royaumes nordiques de Titan. Les chercheurs en ont alors profité pour déployer son altimètre radar visant à mesurer les profondeurs de Kraken Mare, ainsi que celles de Moray Sinus, un estuaire situé sur la côte nord de la mer.

Grossièrement, l’idée consistait à noter les différences de temps de retour du radar entre la surface liquide et le fond de ces deux structures. On a également pu estimer leur composition en soulignant la quantité d’énergie radar absorbée pendant le transit à travers le liquide.

Ces travaux, initiés par Valerio Poggiali, du Cornell Center for Astrophysics and Planetary Science, ont permis d’estimer la profondeur de Moray Sinus : environ 85 mètres. D’après l’absorption des ondes radar, cet estuaire serait également composé à 70% de méthane, 16% d’azote et 14% d’éthane.

L’analyse des données altimétriques dans Kraken Mare, en revanche, n’a montré aucune preuve de retour de signaux depuis le fond marin. Autrement dit, le liquide est probablement trop profond pour que les ondes radio de Cassini puissent atteindre le fond. Cependant, si l’on part du principe que composition de Kraken Mare est similaire à celle de Moray Sinus, les chercheurs ont estimé que sa profondeur pouvait atteindre les 300 mètres.

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Une cartographie des lacs et des mers de Titan, y compris Ligeia Mare, Punga Mare et Kraken Mare. Crédits: NASAJPL CAL-TECHASIUSGS

Un sous-marin dans Kraken Mare

Pour Valerio Poggiali, ces travaux sont bien plus qu’une science abstraite. Dans l’imaginaire des scientifiques, Titan se présente en effet un laboratoire où, pendant des millions d’années, la chimie aurait pu apprendre à générer de l’énergie et à stocker des informations. « Ce sont des processus qui se sont aussi produits sur notre planète, mais ils n’ont laissé aucune trace !« , relève le chercheur. « Nous devons ainsi revenir sur Titan pour mieux comprendre le mystère de la vie« .

Le mieux, pour le comprendre, est encore de se rendre sur place. Nous avons déjà « mis les pieds » sur Titan. En janvier 2005, l’ESA a en effet réussi à poser son atterrisseur Huygens en surface après avoir pris des mesures de son atmosphère au cours de sa descente.

Nous savons également que la NASA va retourner sur place dans le cadre de sa mission Dragonfly. L’idée : libérer un petit quadricoptère capable de « bondir » dans l’atmosphère de la lune. Son lancement est programmé pour 2027.

Mais comme beaucoup d’autres chercheurs, Dr Poggiali aimerait également explorer ces fameuses mers d’hydrocarbure plus en profondeurs, au sens littéral du terme.

Avec son équipe, ils imaginent actuellement une mission visant à libérer un sous-marin robotique dans le centre de Kraken Mare. Ici, le submersible passerait environ trois semaines à mesurer la compositions du fond marin, avant de naviguer près des côtes, de traverser le détroit de Bayta Fretum et de se diriger vers le sud par un passage en forme de gorge appelé Seldon Fretum. De là, il remonterait jusqu’à Moray Sinus.

La gravité de surface de Titan étant inférieure à celle de la Terre et le méthane moins dense que l’eau, un petit sous-marin pourrait s’aventurer ici plus profondément sans être écrasé par la pression. Sur 90 jours de mission, un tel engin pourrait parcourir plus de 3000 km sous la mer.

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Crédits : NASA

Si elle est approuvée par la NASA, le Dr Poggiali souligne que cette mission ambitieuse pourrait être lancée dans les années 2030 pour arriver sur place dans les années 2040. À cette époque, dit-il, il y aura plus de lumière ambiante et le sous-marin pourrait éventuellement communiquer sur une ligne directe vers la Terre sans avoir besoin d’un relais radio en orbite.