La biodiversité de l’océan intermédiaire et profond se révèle plus sensible à l’élévation des températures que ce que l’on pouvait penser. C’est en tout cas ce que rapporte une étude parue le 25 mai dernier dans la revue scientifique Nature Climate Change.
Le rejet croissant de gaz à effet de serre (GES) par les activités humaines induit une accumulation d’énergie dans le système climatique. Toutefois, seulement 1 % de celle-ci contribue à réchauffer l’atmosphère. L’essentiel – plus de 90 % – sert à chauffer l’océan. Ce dernier agît ainsi comme un thermostat. Plus précisément, il vient tempérer l’amplitude des évolutions thermiques à grande échelle.
La chaleur additionnelle se stocke essentiellement dans la première centaine de mètres d’eau. Une couche en interaction plutôt rapide avec la surface. A contrario, les profondeurs océaniques restent quant à elles assez isolées. Aussi, le réchauffement pénètre ce monde froid et hostile avec lenteur. D’autant que l’énorme masse d’eau en jeu représente une inertie colossale.
Une biodiversité sous-marine plus sensible que prévu
Cette propriété pouvait laisser penser que la biodiversité des eaux intermédiaires et profondes était relativement épargnée par les changements climatiques comparé à celle de surface. Toutefois, une récente étude menée par des scientifiques de l’Université du Queensland (Australie) et de l’Université de Hokkaidō (Japon) remet en question cette vision.
« Nous avons utilisé une métrique connue sous le nom de « vitesse climatique » qui anticipe la direction et la vitesse à laquelle une espèce se déplace lorsque l’océan se réchauffe » explique l’auteur principal, Isaac Brito-Morales. « Nous avons calculé ce paramètre pour l’océan au cours des 50 dernières années. Puis pour le reste du siècle en utilisant les données de 11 modèles climatiques ».
Les résultats sont surprenants à plusieurs égards. En effet, malgré un réchauffement bien plus lent dans l’océan profond, les espèces paraissent déjà très affectées. Sur la période contemporaine (1955-2005), la vitesse climatique est 2 à 4 fois plus rapide sous 1000 mètres que près de la surface !
En pratique, ces déplacements résument la tendance qu’a le vivant à rester proche des zones climatiques qui lui sont favorables. Par exemple, de très nombreuses espèces migrent vers les pôles à mesure que le climat se réchauffe. Selon l’étude, les plus fortes vitesses en zones profondes traduisent un réchauffement plus homogène et des écosystèmes plus sensibles.
Océan profond : un besoin de déclarer de nouvelles zones protégées
Dans le cadre d’un scénario où les émissions de GES se maintiennent au niveau actuel, la chaleur fluerait très nettement vers l’intérieur de l’océan. Ainsi, « dans les eaux situées entre 200 et 1000 mètres de profondeur, nos recherches ont montré que les vitesses climatiques s’accéléraient à 11 fois le rythme actuel » note l’auteur principal. Si ce bouleversement culmine en zone mésopélagique, il transparaît également dans les couches plus profondes (voir le tableau ci-dessous).
« Il est essentiel de réduire considérablement les émissions de carbone pour limiter le réchauffement et aider à maîtriser les déplacements de populations dans les couches superficielles de l’océan d’ici 2100 » souligne Anthony J. Richardson, co-auteur de l’étude. « Mais en raison de l’immense taille et profondeur de l’océan, le réchauffement déjà absorbé à la surface se mélangera vers les eaux plus profondes. Cela signifie que la vie marine dans l’océan profond sera confrontée à des menaces croissantes du réchauffement de l’eau jusqu’à la fin du siècle. Quoi que nous fassions maintenant ».
Ainsi, l’étude indique qu’il ne reste plus qu’une seule option forte. Limiter autant que faire se peut les autres menaces planant sur la vie sous-marine. On pense en particulier à la pêche, mais toutes les pratiques d’exploitations non contrôlées sont concernées. « La meilleure façon d’y parvenir est de déclarer de nouvelles zones protégées étendues à l’océan profond » avance Anthony J. Richardson.