Banquise antarctique : un effet régulateur sur le bilan radiatif de la Terre ?

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Crédits : NASA / Goddard Space Flight Center.

L’extension de la banquise antarctique au cours des dernières décennies a largement compensé l’effet réchauffant dû au retrait des glaces boréales. La présence de cet effet modérateur est rapportée par une étude publiée le 28 octobre dernier dans la revue Nature Geoscience

Dans le contexte du changement climatique, l’attention porte souvent sur l’évolution de la glace de mer arctique. En effet, l’étendue et l’épaisseur de cette dernière ont diminué à un rythme particulièrement rapide depuis la fin des années 1990 et les projections anticipent désormais un bassin libre de glace l’été dès le milieu du siècle.

Or, avec de moins en moins de surfaces réfléchissantes, une fraction croissante du rayonnement solaire pénètre dans le système climatique, accentuant le réchauffement initial des températures et la fonte des glaces. Ce cercle vicieux explique en partie pourquoi la région polaire nord se réchauffe deux à trois fois plus rapidement que la moyenne mondiale. On parle de rétroaction de l’albédo.

Quantifier la rétroaction de l’albédo des régions polaires

En étudiant les données acquises de 1982 à 2018 par les satellites d’observation de la Terre, des scientifiques ont récemment évalué l’ampleur de cette rétroaction en Arctique comme en Antarctique. Au pôle nord, les mesures montrent que la baisse de l’albédo a induit un retour positif de 0,08 W/m² (± 0,04 W/m²) par décennie entre 1992 et 2015.

Toutefois, l’histoire est bien différente au pôle sud. Sur la même période, la banquise antarctique a en effet connu une phase d’expansion dont l’effet refroidissant a largement compensé le réchauffement lié au retrait des glaces boréales. Les chercheurs l’ont évalué à -0,06 W/m² (± 0,02 W/m²) par décennie. Et pour cause, la rétroaction de l’albédo fonctionne dans les deux sens. Ainsi, une extension des surfaces réfléchissantes augmente la fraction du rayonnement solaire renvoyée vers l’espace, ce qui diminue la quantité d’énergie arrivant dans le système climatique.

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Tendance normalisée des glaces de mer arctique (bleu) et antarctique (rouge) entre novembre 1978 et décembre 2017. Notez le pic bas à partir de 2015. Crédits : National Snow and Ice Data Center / Université du Colorado, Boulder.

Notons cependant que cette quasi-compensation s’est effondrée après 2015 lorsque la glace de mer australe a subi un recul brutal. Entre 2016 et 2018, la rétroaction a ainsi induit un retour positif moyen estimé à 0,26 W/m² (± 0,15 W/m²). « Nos résultats mettent en évidence le rôle important, mais auparavant peu connu, de la glace de mer antarctique en tant que régulateur du bilan énergétique radiatif dans les régions polaires », relate Aku Riihelä, auteur principal du papier.

L’Antarctique, un réfrigérateur mondial

Enfin, et pour donner un ordre d’idées, sur la période qui s’étend de 1992 à 2018, l’influence de l’albédo moyennée sur les deux pôles équivaut à 10 % de l’effet réchauffant du CO2 anthropique émis depuis 1992. « La question de savoir si la perte récente de glace de mer en Antarctique peut être récupérée est importante étant donné les implications profondes pour le bilan énergétique de la Terre », ajoute Ryan Bright, coauteur du papier.

« L’Antarctique a longtemps servi de réfrigérateur au système terrestre. Le casser de manière irréparable réduirait notre budget d’émissions de gaz à effet de serre restant, ce qui rendrait encore plus difficile la réalisation de nos objectifs ambitieux d’atténuation climatique. Nous ne pouvons pas nous permettre de considérer le basculement de 2016-2018 comme une anomalie tant que nous ne comprenons pas vraiment les mécanismes qui l’ont provoqué ».