Arctique : la disparition de la dernière zone de glace met en péril l’ours blanc

Crédits : Wikimedia Commons

Au rythme d’évolution actuel, même la partie la plus épaisse de la banquise arctique ne résistera pas jusqu’à la fin du siècle. Aussi, de nombreuses espèces, dont l’emblématique ours polaire, risquent de disparaître avec elle. Ce sont là les résultats d’une étude récemment parue dans la revue scientifique Earth’s Future.

Les glaces de mer les plus épaisses, et donc les plus résistantes, se trouvent au nord du Groenland et de l’Archipel arctique canadien. Réparties sur une surface d’environ un million de kilomètres carrés, leur épaisseur atteint fréquemment les quatre à six mètres et peut même ponctuellement dépasser les dix mètres.

La dernière zone de glace du bassin arctique

Cette région a été nommée la dernière zone de glace par les scientifiques (Last Ice Area ou LIA en anglais). En effet, avec le réchauffement global et le recul massif de la banquise d’été, ce sont celles qui résisteront de toute évidence le plus longtemps, dernières résistantes d’un bassin arctique progressivement défait de son traditionnel habit blanc.

Dans une nouvelle étude, des scientifiques ont cherché à quantifier de façon plus précise comment évoluera la dernière zone de glace en fonction des choix que nous ferons quant à nos émissions mondiales de gaz à effet de serre. Pour ce faire, ces auteurs ont étudié un scénario optimiste où des mesures ambitieuses sont prises pour limiter le réchauffement et un scénario pessimiste où les émissions se poursuivent à un niveau proche de l’actuel.

glace arctique
La région correspond à la dernière zone de glace est signalée par la zone rouge en pointillés. La zone de protection marine de Tuvaijuittuq est quant à elle présentée en violet. Crédits : Robert Newton & coll. 2021.

Au terme d’un ensemble de simulations climatiques, les résultats montrent qu’à échéance de 2050, les deux scénarios présentent peu de différences. Un amincissement considérable de la glace estivale dans cette région est déjà acté par les émissions de gaz à effet de serre passées. Toutefois, à l’horizon 2100, un réel écart apparaît. Si dans le scénario optimiste, une partie des glaces est sauvée (mais ne feront alors plus qu’un à deux mètres d’épaisseur), dans le scénario pessimiste elles ont totalement disparu.

Un terrain dont la disparition entraînera celle de nombreuses espèces

Or, ces glaces pluriannuelles comme on les appelle, car elles ont survécu à plusieurs saisons de fonte, sont un élément précieux pour les écosystèmes marins polaires. Des organismes unicellulaires que sont les diatomées jusqu’aux ours blancs, en passant par les poissons et les phoques, tous dépendent crucialement de la présence d’une banquise épaisse et résiliente. La topographie accidentée par les compressions et les chevauchements propres à cette banquise fournit également cachettes et abris pour les espèces qui s’y déplacent.

« Malheureusement, il s’agit d’une expérience massive que nous menons », regrette Robert Newton, auteur principal du papier. « Si la glace disparaît, des écosystèmes entiers qui en dépendent s’effondreront et quelque chose de nouveau commencera ».

Dans leur étude, les chercheurs rappellent que les glaces qui forment la dernière zone de glace proviennent des côtes de Sibérie et du bassin arctique central. Poussées par les vents et les courants, elles s’amoncellent près des côtes du Groenland et du Canada où l’épaisseur augmente en conséquence. Cependant, à mesure que le climat se réchauffe, l’apport de glace dans cette zone diminue et la dernière zone de glace s’affaiblit peu à peu. Il s’agit d’une réalité déjà bien documentée par les observations satellitaires et les mesures de terrain.

ours polaire
Crédits : Alan D. Wilson / Wikipedia

« Cela ne veut pas dire que ce sera un environnement stérile et sans vie », tempère quelque peu le scientifique. « De nouvelles choses vont émerger, mais cela peut prendre un certain temps pour que de nouvelles créatures viennent supplanter ». On peut notamment penser à certains organismes de l’Atlantique nord, dont les eaux plus chaudes et salées envahissent dès à présent le bassin arctique. Cependant; la survie en conditions de nuit polaire restera un défi de taille et le futur de la biologie marine du pôle reste grandement incertain.

Entre profit immédiat et préservation de long terme

Ce qui l’est au contraire un peu plus est que des bouleversements majeurs sont en marche et que ceux-ci se poursuivront au cours des prochaines décennies. Aussi, toutes les actions pouvant limiter ou accompagner les perturbations doivent être prises sans délai, à l’image de la zone de protection marine de Tuvaijuittuq,un espace de 320 000 km² protégé de l’exploitation industrielle et du transport depuis 2019. Si pour l’heure le Canada a établi cette sauvegarde pour une durée de cinq ans, le passage vers une protection définitive est toutefois prévu.

Les réserves de pétrole, de gaz, de cuivre et d’autres minéraux qu’abritent encore ces hautes latitudes seront-elles sagement laissées sous terre ? Les espaces arctiques seront-ils épargnés par un trafic maritime croissant et par la pollution qui l’accompagnerait ? Rien n’est moins sûr. En effet, les opinions et les intérêts des États divergent sur la question et les pressions sont nombreuses.

« Les structures de gouvernance visant à préserver et, espérons-le, un jour à restaurer les écologies de la banquise doivent s’étendre à la coopération internationale (régionale et dans une certaine mesure mondiale) », soulignent les auteurs dans la conclusion de leur papier. Au carrefour d’influences aussi diverses que variées, l’Homme est plus que jamais mis face à ses responsabilités et devrait tout faire pour gérer au mieux l’habitabilité de sa maison.