Le passe-temps de cette chimiste ? Tirer des boulets de canon médiévaux

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Crédits : 12019/Pixabay

Au plus fort de la pandémie de Covid-19, certains ont profité du confinement pour apprendre à cuisiner. Dawn E. Riegner, chimiste, a également passé son temps libre pour tester quelques recettes explosives. Toutefois, cela n’avait rien à voir avec le domaine culinaire.

Au temps des canons

Utilisée pour la première fois au combat en Chine vers 900 apr. J.-C., la poudre à canon s’est ensuite répandue dans toute l’Eurasie à la fin du XIIIe siècle, révolutionnant finalement la manière dont on faisait la guerre. Pendant longtemps, les maîtres artilleurs ont bricolé plusieurs formules, essayant de trouver la « bonne » recette.

Pendant des siècles, les principaux ingrédients de la poudre à canon étaient constitués de nitrate de soufre, de carbone (généralement sous forme de charbon de bois) et de potassium (ou salpêtre). Les deux premiers agissaient comme des combustibles, tandis que le salpêtre fournissait une poussée d’oxygène pour enflammer la réaction chimique (combustion explosive).

Les recettes médiévales présentaient donc différents ratios de ces ingrédients principaux, mais elles en contenaient aussi d’autres plus inhabituels. Par exemple, l’une d’elles intégrait notamment du Cognac, quand d’autres proposaient de la chaux vive, du vernis ou du vinaigre.

Pendant la pandémie, Dawn E. Riegner, chimiste à l’Académie militaire américaine de West Point (New York), a profité de son temps libre et de ses salles de classe vides pour tester plusieurs de ces formules, et voir comment elles avaient évolué au fil du temps.

Des formules de plus en plus élaborées

Cette interrogation avait du sens. Son collègue Clifford Rogers, historien à West Point et spécialisé dans les armes et la guerre médiévales, savait en effet que les bombardes (les premiers canons apparus pour la première fois en Europe au début des années 1300) étaient devenues de plus en plus sûres, plus grosses, plus puissantes et beaucoup plus efficaces au fil du temps. Le but était donc de déterminer le rôle exact de l’évolution des recettes de poudre à canon dans l’amélioration de ces canons.

Pour ces travaux, le Dr Riegner, en compagnie de sa fille et de plusieurs de ses collègues, a alors testé près de deux douzaines de recettes de poudre à canon utilisées par les artilleurs médiévaux entre 1338 et 1460. L’un des avantages à travailler à l’Académie militaire américaine de West Point (New York), c’est que vous avez accès à des champs de tir de classe mondiale.

Le rapport de l’équipe, récemment publié dans Omega, confirme que les plus anciennes recettes menaient à davantage d’explosion.

À l’époque, certains artilleurs en ont d’ailleurs payé le prix fort. L’historien Clifford Rogers évoque notamment le siège en 1409 d’une forteresse à Vellexon, en France, comme exemple de ces échecs. Au cours de ce siège, mené par les Bourguignons contre un seigneur rebelle pendant une période de guerre civile, huit bombardes avaient été déployées pour frapper les murs du château avec de gros boulets de canon. Finalement, deux d’entre elles ont explosé et le siège traîna sans succès pendant des mois.

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Mme Riegner, à gauche, a collecté des résidus de canon. Crédits : Aube Riegner

« Vous ne pouviez plus vous cacher dans votre château »

De manière générale, l’équipe a constaté que la quantité de chaleur libérée lors d’une explosion diminuait régulièrement des années 1330 à 1400. Selon le rapport, cela pourrait s’expliquer par la nécessité de concocter des recettes plus sûres, tant pour les artilleurs que pour les canons. Et pour le Dr Rogers, ce fut un tournant dans l’histoire de l’Occident.

« Cela a véritablement changé l’équilibre entre l’attaque et la défense« , résume-t-il au Times. À l’époque, les châteaux et forteresses étaient depuis longtemps invulnérables. Cependant, dans les années 1400, les gros canons étaient devenus tellement efficaces que les sièges ont commencé à se raccourcir, passant de plusieurs mois ou années à quelques semaines ou jours.

« Vous ne pouviez plus vous cacher dans votre château« , poursuit le Dr Rogers. « Si vous vouliez défendre votre pays, vous aviez besoin d’une armée plutôt que d’une simple forteresse. Sur le plan géopolitique, cela a complètement changé la nature de la guerre« . Les chercheurs prévoient de nouvelles études pour tenter de mieux documenter les effets subtils de ces différentes recettes.