Chaleur, pluie et fonte records : doit-on s’inquiéter des récents évènements survenus en Antarctique de l’Est ?

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Crédits : flickr.

L’effondrement d’une plateforme de glace, des températures trente à quarante degrés supérieures aux normales, de la pluie et une fonte côtières… Les évènements survenus au cours des dernières semaines en Antarctique de l’Est ont fait la une médiatique et suscité des inquiétudes quant à l’évolution climatique dans une région que l’on supposait relativement stable. Dans cet article, nous verrons toutefois que l’interprétation de ce type d’extrêmes est moins triviale qu’il n’y paraît.

Au cours du mois de mars dernier, l’Antarctique a connu une série d’évènements climatiques pour le moins inhabituelle. Après avoir vu la banquise ceinturant le continent atteindre son minimum d’extension annuel le plus bas jamais recensé, la barrière de glace de Conger (environ 1200 km²) a subi un effondrement total le 15 du mois.

Cette dernière, de petite taille, était située à l’est de l’Antarctique en terre de Wilkes. Alors que la plateforme avait commencé à se désintégrer il y a quelques années, sa dislocation finale a coïncidé avec une météo anormalement douce et précédé la vague de chaleur exceptionnelle qui a frappé le continent entre le 16 et le 21 mars.

Aussi, pendant qu’un iceberg de trente kilomètres de long sur vingt kilomètres de large se détachait, le thermomètre commençait à s’affoler sur l’est de l’Antarctique, d’abord près des côtes, puis loin dans l’intérieur des terres. De nombreux records de douceur ont été pulvérisés, les températures s’envolant jusqu’à plus de trente, voire quarante degrés au-dessus des normales de saison.

Les plus fortes anomalies n’ont pas toujours les plus forts impacts

Notons que si les regards se sont focalisés sur les excès thermiques exceptionnels et les records battus dans l’intérieur du continent, les véritables conséquences se trouvaient ailleurs. « Le fait que la température ait été largement supérieure à zéro degré et qu’il ait plu sur la côte en amont la veille est plus préoccupant », relatent Étienne Vignon et Christoph Genthon, chercheurs au LMD (France).

Anomalies thermiques à deux mètres le 18 mars. Notez les valeurs supérieures à 30 °C sur une large partie orientale de l’Antarctique. Crédits : ClimateReanalyzer.org.

« Les précipitations sont rares en Antarctique, mais lorsqu’elles se produisent, elles ont des conséquences sur les écosystèmes, en particulier sur les colonies de manchots et sur le bilan de masse de la calotte glaciaire ». Les scientifiques ajoutent qu’il n’y a « heureusement plus de poussins manchots à cette période de l’année, mais le fait que cela se passe désormais en mars rappelle les enjeux des régions périphériques : faune et stabilité de la calotte glaciaire ».

Ces différents évènements, et en particulier leur survenue rapprochée, ont suscité de nombreuses inquiétudes quant à l’impact que pouvait avoir le réchauffement climatique sur ce qui constitue la région la plus froide et la plus sèche du monde. S’il semblait jusqu’à présent plutôt épargné, les dernières semaines ont montré que l’Antarctique de l’Est était peut-être plus vulnérable qu’on ne le pensait.

Antarctique : entre sursauts météorologiques et tendances climatiques

Bien que ces épisodes extrêmes soient très souvent à l’origine d’une prise de conscience et source d’inquiétude en raison de leur fulgurance, ils n’ont pas nécessairement une grande valeur en tant que tels. En effet, même si le réchauffement climatique intensifie probablement ces sursauts météorologiques lorsqu’ils surviennent, l’essentiel de l’énergie mise en jeu provient de la mobilité naturelle du système climatique. De fait, leur interprétation est loin d’être triviale.

« Cet évènement réécrit le livre des records et nos attentes sur ce qui est possible en Antarctique », rapporte Robert Rohde, climatologue au Berkeley Earth (Californie), à propos des températures. « Est-ce simplement un évènement bizarrement improbable ou est-ce un signe de plus à venir ? Pour le moment, personne ne le sait ». Le chercheur ajoute à cet égard qu’un tel épisode de douceur se produirait de façon naturelle environ une fois tous les deux cents ans.

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Température record de -10,1 °C relevée le 18 mars dernier à la station du Dôme C. La normale est en vert et les fluctuations des autres années, en noir. Crédits : Robert Rohde / @RARohde.

La hausse continue des températures moyennes sur Terre, l’accumulation de chaleur dans les océans, l’élévation croissante du niveau de mers, le recul de long terme des glaciers ou encore les déstabilisations progressivement plus nombreuses des plateformes de glace sont des indicateurs plus lents, instantanément moins spectaculaires, mais qui en disent beaucoup plus sur l’évolution du climat mondial.

En effet, l’énergie qui pilote ces changements est essentiellement anthropique, c’est-à-dire liée à nos émissions de gaz à effet de serre. Dans le cadre d’un suivi climatique, il convient ainsi de les préférer aux manifestations extrêmes, dont l’interprétation est souvent difficile et demande un important recul, eu égard à leur dimension événementielle qui comporte une large part d’aléatoire.