Quel est ce problème de corrosion touchant les centrales nucléaires françaises ?

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À l’heure où nous écrivons ces lignes, la moitié des centrales nucléaires françaises sont à l’arrêt, dont une demi-douzaine à cause d’un problème de corrosion sous contrainte. D’où ce souci qui met à genoux les capacités électriques du pays vient-il exactement ? Comme nous le verrons, EDF connaissait pourtant ces anomalies depuis plusieurs décennies.

La corrosion sous contrainte des circuits de refroidissement des centrales nucléaires

Fin juillet 2022, l’Autorité de sûreté nucléaire a donné son aval à EDF pour le lancement d’un plan de contrôle concernant l’intégralité du parc français. Des investigations auront ainsi lieu dans toutes les centrales à la recherche de ce fameux problème de corrosion sous contrainte qui touche la tuyauterie des installations nucléaires.

Le phénomène est décrit par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) comme « un mode de corrosion assez répandu dans l’industrie conventionnelle (hors nucléaire) qui se caractérise par la fissuration d’un matériau au contact d’un environnement chimique ». La contrainte mécanique est aussi un facteur important expliquant l’apparition du phénomène. Il en résulte des fissures qui se propagent peu à peu dans le matériau qui se retrouve ainsi fragilisé. Ces dégâts sont donc dus aux caractéristiques du fluide (température, compositions…), aux conditions d’exploitation (vibrations par exemple) et aux circuits (conception, fabrication et installations).

Un système de sécurité touché

Dans le cas des centrales nucléaires françaises, ces problèmes de corrosion touchent un système vital. C’est en effet au niveau de la tuyauterie des circuits de refroidissement d’urgence (RIS) que des fissures ont été repérées dans un premier temps. Il y a donc une menace importante sur la sécurité du site nucléaire en cas d’incidents.

En outre, le phénomène de corrosion est mal connu et particulièrement difficile à prévoir. Il est par ailleurs trop tard quand l’on s’en rend compte, car seules les fissures présentes dans la tuyauterie permettent la détection du problème. Les dégâts peuvent donc couver une dizaine d’années avant de se manifester. Un minutieux et délicat examen aux ultrasons permet toutefois de repérer les fissures. Malgré ces difficultés de détection, EDF aurait pu s’en douter, car la corrosion sous contrainte a déjà sévi dans des centrales nucléaires, et notamment en France.

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Un problème connu et étudié depuis plusieurs dizaines d’années

L’IRSN recense plus de 150 problèmes de corrosion sous contrainte dans des centrales nucléaires à travers le monde. Un cas français a particulièrement retenu l’attention des ingénieurs d’EDF. Celui-ci remonte à 1984 dans le réacteur 3 de la centrale du Bugey (Ain). Cette année-là, l’installation qui était pourtant âgée d’à peine plus de dix ans a vécu une série d’incidents qui ont failli déboucher sur une dramatique catastrophe nucléaire. Une fois le drame évité, une fuite dans le circuit RIS a été repérée. La corrosion sous contrainte a alors été pointée du doigt. L’épisode a fait notamment l’objet d’une étude en 1985, puis d’une thèse en 2004.

Plus globalement, EDF finance des recherches qui s’intéressent aux effets et aux causes de la corrosion par contrainte sur les différents matériaux utilisés dans les circuits de refroidissement. En outre, des retours d’expériences internationales mettent en lumière les risques que représente le phénomène pour les centrales nucléaires.

Toutefois, selon EDF, les installations françaises sont épargnées , notamment grâce à leur conception. Néanmoins, l’IRSN émet de sérieux doutes quant aux conclusions de l’exploitant. Une série de facteurs bien plus complexes entrent en effet en jeu (comme la fabrication des matériaux utilisés ou les soudures). On a donc bien du mal à comprendre pourquoi EDF parle de « surprise » face à la découverte de fissures dans les systèmes RIS de plusieurs centrales françaises.

centrale nucléaire
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EDF aurait eu toutes les informations pour anticiper

Pourtant, l’entreprise était informée bien en amont quant aux risques. En effet, durant les visites décennales des années 2010, plusieurs indicateurs ont été repérés en marge de contrôles par ultrasons des installations RIS. Toutefois, ces signaux d’alerte ont été classés comme « parasites » dans les rapports, c’est-à-dire que leur détection serait explicable par la géométrie des circuits et non pas par les effets de la corrosion sous contrainte.

Quand EDF a annoncé des fissures allant jusqu’à 5,6 mm sur certaines installations dix ans plus tard, ces relevés ont alors pris une tout autre signification, d’autant plus que ces problèmes de corrosion ne touchent plus uniquement les RIS, mais bien les principaux systèmes de refroidissement des centrales nucléaires françaises.