Il y a environ 66 millions d’années, un astéroïde frappait la péninsule du Yucatán, mettant alors fin à la période du Crétacé, mais aussi au passage à l’existence des dinosaures non-aviens (les oiseaux mis à part). Cette catastrophe a également emporté avec elle d’autres espèces terrestres ou maritimes (dont les ammonites et de nombreux végétaux) et même les groupes survivants (mammifères et lézards en tête) ont fait face à des pertes considérables. Et si la roche n’est plus sur place, cet évènement a bel et bien laissé une trace très visible dans le Mexique actuel sous la forme d’un cratère d’impact gigantesque nommé Chicxulu et d’indices qu’une nouvelle étude publiée dans Science le 15 août 2024 a cherchés à déchiffrer pour en savoir plus sur la nature et la provenance de la roche impitoyable qui a causé l’anéantissement de toutes ces formes de vie.
Un astéroïde qui a traversé tout le Système solaire avant de sceller le destin des dinosaures
Lors de sa chute, l’impacteur, qui faisait au moins dix kilomètres de diamètre, a laissé un cratère de 180 km au Mexique et s’est retrouvé pulvérisé sous la forme de petits débris disséminés tout autour de la planète. Pour étudier en détail cette roche mystérieuse, des chercheurs sont donc partis à la recherche de ces particules sédimentaires enfouies dans une couche de roches sous la surface de la Terre que l’on appelle limite K-Pg (Crétacé-Paléogène) qui marque la fin du Crétacé et le début du Paléogène avec l’extinction massive à l’époque. Outre l’iridium, l’osmium, le rhodium, le platine et le palladium, l’un des éléments chimiques présents dans cette zone qui sépare deux périodes géologiques est le ruthénium, absent des sédiments terrestres, et dont l’origine ne peut donc forcément être qu’un astéroïde dans lequel ces éléments sont abondants.
Comme l’explique l’équipe, « nous avons choisi le Ru [le ruthénium, NDLR], car il présente des variations isotopiques qui dépendent des groupes de météorites et qui diffèrent toutes de la composition terrestre. Elles peuvent ainsi servir « d’empreinte génétique » pour déterminer la source de la composante extraterrestre dans les roches d’impact ». « L’idée est née du raisonnement suivant : si différents types de météorites peuvent être distingués en fonction de leur composition isotopique en ruthénium et si l’enrichissement en éléments tels que le ruthénium dans la couche limite est d’origine extraterrestre, les données isotopiques du ruthénium provenant des échantillons de la couche limite fourniraient des informations sur le type d’objet d’impact », précise Mario Fischer-Gödde, l’auteur principal de ces travaux qui est aussi chercheur à l’Institut de géologie et de minéralogie de l’Université de Cologne (Allemagne).
Des conclusions étonnantes
Grâce à cette étude, les scientifiques ont ainsi pu conclure avec certitude que la roche en question est un astéroïde de type C formé dans une région située au-delà de l’orbite de Jupiter, et non pas de type S. Bien qu’elles n’ont pour l’heure pas su expliquer comment cet impacteur a pu parcourir de telles distances et suivre la trajectoire qui l’a mené sur Terre, ces recherches soulignent ainsi son caractère singulier. En effet, comme l’explique Fischer-Gödde « environ 80 % de tous les astéroïdes ayant frappé la Terre proviennent d’astéroïdes de type S » riches en silicates et formés plus près du Soleil, au niveau de la partie interne du Système solaire. Appartenant à la classe des chondrites carbonées, cet objet n’est impliqué que dans environ 4 % des impacts et s’impose donc comme une rareté.

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Crédits : mikdam/istockUne analyse comparative qui précise le portrait-robot de cet astéroïde dévastateur et met fin à des débats de longue date
Si la présente étude permet de taire les rumeurs concernant la possibilité que l’impacteur soit une comète, elle permet surtout de clore un débat de longue date au sein de la communauté scientifique. En effet, plusieurs études avaient par le passé suggéré que les trapps du Deccan, des volcans énormes qui ont éclaté en Inde avant et après l’arrivée de l’astéroïde, pourraient avoir participé à la catastrophe à la fin du Crétacé.
Pour lever ces doutes et établir des comparatifs pertinents, l’équipe s’est donc employée à étudier en détail les échantillons de cinq autres impacts d’astéroïdes anciens (survenus au cours des 541 derniers millions d’années) que sont venus compléter des échantillons de météorites carbonées. Cela a ainsi permis de comparer la signature isotopique des différents prélèvements et de découvrir que les autres objets se rapprochaient davantage des astéroïdes de type S riches en silicates formés non loin du Soleil. En comparaison, l’astéroïde lié à l’extinction des dinosaures affichait des niveaux de ruthénium correspondant aux chondrites carbonées qui se forment aux confins du Système solaire.
Surtout, les quantités d’iridium, de ruthénium et autres éléments se détachent fortement des quantités retrouvées habituellement dans la roche basaltique issue d’éruptions préhistoriques et prouvent que l’évènement est bien lié à une roche spatiale. De plus, rappelons que des recherches antérieures avaient émis l’idée fascinante que les gaz à effet de serre émis par les volcans indiens pourraient avoir au contraire réduit l’impact hivernal lié à la collision de l’astéroïde. Cette activité volcanique intense aurait ainsi plutôt atténué les dommages au lieu de les aggraver et de mener à la perte de plus d’espèces.

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Crédits : serpeblu/istockDes questions soulevées par cette étude
Bien que les traces d’astéroïdes de type C soient particulièrement rares du fait du nombre limité d’impacts avec ces objets, leur étude pourrait percer les mystères de l’origine de l’eau sur notre planète. L’équipe estime donc qu’il est essentiel de poursuivre l’analyse de ces objets et des implications de leurs rencontres avec la Terre.
Mario Fischer-Gödde évoque enfin une crainte : « si nous constatons que d’autres extinctions massives dans le passé sont aussi liées à des astéroïdes de type C », alors la prudence sera de mise si ces objets venaient à croiser de nouveau notre route dans un futur plus ou moins proche. Les efforts de surveillance et la recherche de solutions en cas de risque d’impact s’imposeraient alors comme étant d’une encore plus grande importance.
Vous pouvez lire l’étude sur ce lien.
