Comment les fourmis s’auto-organisent pour construire leur nid

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Les fourmis construisent collectivement des nids dont la taille peut atteindre plusieurs milliers de fois celle des individus et à l’architecture parfois très complexe. Leur capacité à coordonner plusieurs milliers d’individus pour bâtir leurs nids demeure cependant une énigme. Pour comprendre les mécanismes impliqués dans ce phénomène, des chercheurs du CNRS, de l’Université Toulouse III – Paul Sabatier et de l’Université de Nantes1 ont combiné des techniques d’analyse comportementale, d’imagerie 3D et de modélisation. Leurs travaux montrent que les fourmis s’auto-organisent en interagissant avec les structures qu’elles construisent et grâce à l’ajout d’une phéromone à leur matériel de construction. Ce signal chimique contrôle localement leur activité bâtisseuse et détermine la forme du nid. Sa dégradation au cours du temps et par les conditions environnementales permet également aux fourmis d’adapter la forme de leurs nids. Ces travaux font l’objet d’une publication dans la revue PNAS le 18 janvier 2016.

Chez la fourmi noire des jardins, Lasius niger, le nid est composé d’une partie souterraine constituée par un réseau de galeries et d’un dôme en terre constitué d’un grand nombre de chambres en forme de bulles, étroitement imbriquées les unes aux autres. A l’aide de techniques d’imagerie 3D comme la tomographie aux rayons X2 et le scanner 3D, les chercheurs ont caractérisé les structures tridimensionnelles réalisées par les fourmis ainsi que la dynamique de construction. Par ailleurs, ils ont analysé les comportements de construction de ces insectes à l’échelle individuelle.

Dans la partie située au-dessus du sol, les insectes entassent leurs matériaux de construction pour former des piliers qui servent à délimiter les chambres. Les fourmis déposent préférentiellement leurs boulettes de terre dans les zones où d’autres amas ont déjà été réalisés. Elles ajoutent en effet une phéromone à leurs matériaux, ce qui incite leurs congénères à construire aux mêmes endroits et conduit à la formation de piliers régulièrement espacés. Lorsque ces colonnes atteignent une hauteur correspondant à la longueur moyenne d’une fourmi, les ouvrières façonnent alors des « chapiteaux » au sommet des piliers. Elles utilisent leur corps comme gabarit pour déterminer quand elles doivent cesser de construire verticalement et commencer à déposer des boulettes latéralement. Les fourmis disposent donc de deux types d’interactions indirectes pour édifier des architectures complexes.

Par ailleurs, la phéromone se dégrade avec le temps, plus ou moins vite selon les conditions climatiques, ce qui permet à la construction de s’adapter à l’environnement. Ainsi, dans un environnement sec, la quantité de phéromone diminue rapidement et il y a donc moins de piliers construits. Les chambres sont alors plus grandes, ce qui permet aux fourmis de s’y agréger afin de conserver le peu d’humidité. A l’inverse, dans un environnement humide, la phéromone persiste plus longtemps ce qui conduit à un nombre de piliers plus élevé et à des chambres plus petites.

Les chercheurs ont ensuite conçu un modèle mathématique en 3D de la construction du nid, obtenu grâce à l’analyse du comportement individuel des fourmis. Ce modèle montre que les deux formes d’interactions indirectes, utilisées par les fourmis pour coordonner leurs activités, reproduisent fidèlement la dynamique de construction et les structures construites lors des expériences. Il souligne également le rôle clé joué par la phéromone de construction dans la dynamique de croissance et les formes des nids.

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Communiqué du CNES

Notes :

1 au Centre de recherches sur la cognition animale (CNRS/Université Toulouse III – Paul Sabatier) et au Laboratoire d’informatique de Nantes Atlantique (CNRS/Université de Nantes/Ecole des Mines de Nantes).
2 La tomographie aux rayons X est une technique d’imagerie non destructive qui permet de reconstituer la forme d’un objet en 3D grâce à l’assemblage de coupes virtuelles.

Références :

Stigmergic construction and topochemical information shape ant nest architecture, Anaïs Khuong, Jacques Gautrais, Andrea Perna, Chaker Sbaï, Maud Combe, Pascale Kuntz, Christian Jost et Guy Theraulaz. PNAS, 18 janvier 2016. www.pnas.org/cgi/doi/10.1073/pnas.1509829113