Comment les Chincha reconstituaient leurs morts après le passage des colonisateurs

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Crédits : JL Bongers

Au Pérou, les Chincha enfilaient les vertèbres de leurs morts sur des bâtons comme des perles sur un fil dans le but de reconstituer leur squelette après le passage des colons espagnols. Ces pratiques viennent de faire l’objet d’une étude publiée dans la revue Antiquity.

La culture Chincha était une ancienne civilisation amérindienne dont le peuple (au moins 30 000 personnes, dont beaucoup de pêcheurs et d’agriculteurs) vivait près de l’océan Pacifique au sud-ouest du Pérou dans la région côtière au sud de Lima. La culture prospéra entre 900 apr. J.-C. et 1450 apr. J.-C.. Le royaume intégra ensuite l’Empire inca vers 1480, puis vinrent les Espagnols, sur place dès 1534.

La conquête du Pérou par les Espagnols fit de nombreux dégâts. Au cours de leurs manœuvres, les colonisateurs n’ont pas seulement pillé les vivants. Ils ont aussi pillé des tombes, arrachant vêtements et bijoux, ce qui n’a pas manqué d’abîmer les corps. En réponse, certaines populations de la culture Chincha auraient ensuite cherché à reconstituer les restes perturbés en enfilant des vertèbres des défunts sur des bâtons de roseau.

Un engagement avec les morts

Dans la revue Antiquity, les chercheurs expliquent avoir isolé ces reconstitutions en explorant des sites mortuaires en 2013. L’étude révèle que ces vertèbres filetées ont été trouvées à l’intérieur ou à l’extérieur de grandes tombes élaborées appelées chullpas, souvent en surface. La pratique était appliquée aux restes d’adultes comme aux restes de juvéniles.

La datation au radiocarbone de trois roseaux et de leurs vertèbres associées suggère que les individus sont probablement morts entre 1520 et 1550, une période compatible avec les épidémies et les famines essuyées aux au Pérou. Les roseaux ont quant à eux été récoltés un peu plus tard, entre 1550 et 1590.

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Crédits : Antiquty
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Exemples de vertèbres enfilées (échelle en cm). Crédits : C. O’Shea.

Au début, les chercheurs pensaient que les bâtons avaient été placés ici par les pillards. Cependant, au fur et à mesure des découvertes (près de deux cents cas signalés jusqu’à présent) ​​ces derniers ont commencé à imaginer une autre histoire.

D’après eux, ces pratiques auraient été réalisées par les populations locales elles-mêmes après le passage des Européens. Leur hypothèse est étayée par la datation des roseaux, mais également par le fait que ces vertèbres étaient déjà séparées les unes des autres au moment d’être enfilées, car disposées dans le mauvais ordre.

D’après le Dr Jacob Bongers de l’Université d’East Anglia, cette nouvelle étude d’un véritable engagement avec les défunts. « La mort n’était pas la fin. Ce que nous voyons ici, c’est un engagement à long terme avec les morts« , note le chercheur. « Le colonialisme européen n’empêche pas les populations locales d’interagir avec eux« .