Sans l’influence du sel, les pôles seraient dépourvus de banquise

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Crédits : NASA/Goddard Space Flight Center Scientific Visualization.

Une étude dirigée par l’Université de Göteborg (Suède) a montré que la présence actuelle de banquise aux pôles s’explique en grande partie par la répartition du sel dans les eaux de hautes latitudes. Sans ce facteur, il serait bien plus difficile de former de la glace de mer et les échanges d’énergie au sein du système climatique en seraient grandement affectés. Les résultats ont été publiés dans la revue Science Advances ce 16 novembre.

Des phénomènes aussi banals que la formation de glace de mer peuvent cacher une physique pour le moins surprenante. En effet, s’il est d’usage de rapporter le développement de la banquise au refroidissement intense qui accompagne la nuit polaire, une analyse plus poussée montre que ce seul facteur serait loin d’être suffisant pour former une couche de glace à la surface de l’océan.

Stratification des eaux : le rôle dominant du sel face à la température

La raison est qu’une eau refroidie en surface, toutes choses égales par ailleurs, deviendra plus dense et aura par conséquent tendance à plonger et à être remplacée par une eau sensiblement plus chaude remontant depuis les profondeurs. Le brassage constant aura ainsi tendance à prévenir la formation de glaces de mer. Or, ce n’est pas ce que l’on observe. Pour bien comprendre, il faut en fait tenir compte d’un autre paramètre tout aussi important : la salinité de l’eau de mer.

Comme la salinité influence aussi la densité de l’eau, elle peut contrer l’effet lié à la température et maintenir les eaux froides près de la surface. « La salinité des eaux polaires de surface est plus faible, grâce à l’apport d’eau douce provenant de la fonte des glaces et des précipitations sur l’océan », relate Fabien Roquet, auteur principal de l’étude. La salinité des eaux profondes est quant à elle plus élevée. Le brassage qui se développerait sans l’influence du sel est ainsi évité.

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Indice de stratification. Dans les régions en bleu, la stratification est dominée par le sel et dans celles en rouge, par la température. Crédits : F. Roquet & coll. 2022.

La présence de banquise dans les régions polaires est donc rendue possible par les propriétés très particulières de l’eau de mer. Par exemple, si l’air gagne en densité à mesure qu’il se refroidit, l’eau douce a un comportement bien plus atypique puisqu’en dessous de 4 °C, la baisse de la température s’associe à une diminution de la densité. Pour l’eau salée, la densité minimale se situe au niveau du point de gel vers -2,7 °C.

En résumé, l’étude montre que la densité dépend beaucoup moins de la température dans les eaux froides que dans les eaux chaudes. Aussi, ce sont avant tout les variations de salinité qui régissent les variations de densité des eaux en climat froid. « Plus on se rapproche des pôles, plus la salinité est importante pour limiter le mélange et l’uniformisation de la température dans toute la colonne d’eau », note le chercheur.

Un effet tampon sur le recul de la banquise

Ces résultats permettent de mieux comprendre ce qui détermine le climat de notre planète, en particulier la façon dont s’articulent les échanges d’énergie entre l’océan et l’atmosphère ainsi qu’entre la Terre et l’espace. On rappelle à cet égard que la blancheur des surfaces englacées renvoie une fraction significative du rayonnement solaire incident vers l’espace.

Dans le contexte du changement climatique, le rôle de la salinité intervient ainsi comme un amortisseur de la fonte. « Un temps plus chaud peut entraîner une augmentation de l’eau douce dans les mers polaires à mesure que les glaciers fondent et que les précipitations augmentent » souligne Fabien Roquet. « La différence de salinité peut alors augmenter, ce qui contribuerait à soutenir la formation de glace de mer. C’est un processus à suivre ».