Les projections du niveau marin manquent-elles un mécanisme clé ?

antarctique circumpolaire
Crédits : Alfred Wegener Institute.

Les modèles utilisés pour anticiper le relèvement du niveau marin dans le contexte du réchauffement climatique pourraient manquer un processus essentiel dont la racine se trouve à la base de la calotte antarctique. C’est du moins ce que soutient une étude publiée dans la célèbre revue Nature Communications ce 14 septembre.

L’élévation du niveau des mers possède deux grands déterminants. D’un côté, le réchauffement de l’eau qui provoque sa dilatation, et de l’autre la fonte des glaces continentales que sont les glaciers et les calottes polaires du Groenland et de l’Antarctique. On rappelle à ce titre que l’incertitude vis-à-vis du relèvement futur du niveau marin dépend très largement du comportement de la calotte australe dont les instabilités et autres processus rétroactifs restent difficiles à quantifier.

Relèvement du niveau marin : la contribution potentiellement sous-estimée de la fonte basale

Or, une équipe de chercheurs de l’Université de Standford (Californie, États-Unis) a identifié un processus qui n’est actuellement pris en compte par aucun modèle prédictif ni calcul prévisionnel mais qui serait pourtant en mesure de contribuer significativement à l’élévation du niveau des mers dès les prochaines décennies. Il s’agit de la fonte basale en Antarctique, c’est-à-dire celle qui prend place à la base de la calotte, juste au-dessus du socle rocheux (voir le schéma ci-après).

Représentation schématique de la fonte basale qui prend place au-dessus du socle rocheux (brun). On identifie sur la figure un lit gelé (frozen bed), un lit gelé mais dont la température est proche du point de fusion (thawable bed) et un lit en phase de dégel (thawed bed). Enfin, les flèches noires indiquent l’écoulement de la glace. Crédits : Eliza J. Dawson & coll. 2022.

Si le phénomène n’est pas nouveau en tant que tel, on pensait que celui-ci ne variait que sur de longues échelles de temps. Cependant, les résultats obtenus par les scientifiques montrent qu’il n’en est rien et qu’avec un réchauffement rapide du climat, la fonte basale peut s’amplifier en l’espace de quelques décennies seulement, du moins pour certains secteurs, et donc contribuer significativement à l’élévation du niveau des mers à relativement brève échéance.

Ces derniers « représentent environ 11 % de la superficie totale de la calotte glaciaire et seraient susceptibles de subir une perte de masse d’un ordre de grandeur supérieur à la perte dynamique observée au cours des quatre dernières décennies », rapporte à ce titre l’étude, ce qui correspond à plusieurs millimètres par an. En cause, des changements mécaniques tels que le glissement accéléré de la glace sur le socle rocheux, source de friction et donc de chauffage par frottement.

Un point signifiant de l’étude est que les secteurs les plus à risque se situent en Antarctique de l’Est, une région généralement supposée stable. « Toute la communauté se concentre vraiment sur le glacier Thwaites en ce moment », relate Dustin Schroeder, coauteur de l’étude. « Mais certaines des régions qui sont les suspects habituels des changements importants ne sont pas les zones les plus impactantes dans cette étude ».

Des mécanismes qui restent à préciser

Une question qui reste encore en suspens est de savoir plus précisément ce qui accélère le glissement basal. Selon les premiers résultats obtenus à l’aide de simulations numériques prenant en compte la température au pied de la calotte antarctique, le réchauffement des eaux océaniques serait l’un des facteurs principaux car il fragilise les plateformes de glace et induit par conséquent une accélération de l’écoulement des glaciers situés en amont.

« L’eau plus chaude de l’océan n’atteint pas nécessairement ces régions de l’Antarctique de l’Est comme c’est le cas dans certaines parties de l’Antarctique de l’Ouest, mais elle est proche, donc il y a un potentiel d’évolution », note le chercheur. « Lorsque l’on considère les travaux théoriques récents montrant que les processus thermiques au niveau du lit peuvent être faciles à activer, cela fait que la décongélation à court terme du lit de la calotte glaciaire semble être un levier beaucoup plus facile à activer que nous ne le pensions ».