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Crédits : ESA/NASA

Pourquoi la nourriture est-elle si fade et insipide dans l’espace ?

Pour que des humains puissent voyager dans l’espace et, sur une vision à plus long terme, espérer coloniser d’autres planètes, il faut qu’ils puissent se restaurer convenablement, d’autant que les voyages spatiaux peuvent être longs. Très longs. Ils peuvent heureusement ici aussi bien compter sur les aliments frais qu’ils font pousser en orbite que sur les aliments secs, déshydratés ou lyophilisés qu’ils emportent par exemple. Toutefois, même avec une réserve de nourriture relativement variée dans l’espace, un problème subsiste.

Beaucoup d’astronautes rapportent une perte d’appétence pour l’alimentation, notamment dans l’ISS. Des aliments pourtant délicieux sur Terre peuvent en effet devenir insipides et fades. Avec cette perte de goût, le plaisir de manger n’est plus vraiment de la partie au bout d’un certain temps. Pire : malgré des plats parfaitement équilibrés à disposition, ces voyageurs spatiaux peuvent avoir du mal à manger suffisamment pour répondre à tous leurs besoins énergétiques. Mais comment expliquer cette perception de fadeur ? Une équipe de chercheurs australiens de l’Institut Royal de Technologie de Melbourne (RMIT) s’est penchée sur cette question qui pourrait contribuer à améliorer les menus spatiaux du futur à destination des explorateurs de contrées spatiales éloignées.

La nourriture dans l’espace: un défi pour les sens

Si l’étude publiée le 16 juillet 2024 rapporte plusieurs explications à ce manque de saveur, l’une des premières avancées est le rapport changé aux sens. La consommation de nourriture est en effet une expérience complète qui fait appel à bien d’autres sens que le goût. Par exemple, lorsque l’on croque dans une pomme, au plaisir du goût doux et légèrement acide en bouche s’ajoutent les arômes du fruit qui stimulent notre odorat. Notre toucher, notre audition et notre vision ne sont pas non plus en reste face à cet aliment ferme et coloré (rouge, vert ou panaché) qui craque agréablement sous la dent. Il suffit alors de souffrir d’un gros rhume associé à un nez bouché pour avoir rapidement du déplaisir au moment de manger.

Dans l’espace, l’expérience de la nourriture peut changer du tout au tout à cause du manque de gravité. Les fluides corporels remontent au lieu de descendre comme sur Terre. Cela peut donner une sensation de congestion nasale en apesanteur qui est peu propice aux plaisirs de l’assiette.

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Source: DR
Crédits : NASA/Wikimedia Commons

L’environnement et l’isolation : des critères supplémentaires

Les chercheurs se sont également demandé si l’environnement peu familier et très monotone dans l’espace pouvait avoir un impact sur la perception de la nourriture. Un vaisseau spatial est en effet un lieu fermé et confiné où les cosmonautes évoluent au sein d’équipements scientifiques et de fils électriques dans un environnement où l’espace de travail se mélange à l’espace personnel. Or, par le passé, des recherches avaient déjà démontré à quel point le contexte dans lequel on mange un même plat peut changer notre opinion à son sujet, par exemple si vous mangez un même sandwich triangle lors d’un pique-nique en famille ou à votre bureau avant de reprendre le travail. Après l’isolement en pleine pandémie, on ne peut donc qu’imaginer l’effet d’un tel environnement mêlé au confinement, le tout avec un nez congestionné et une nourriture certes variée, mais quand même limitée.

Pour tester cet effet, l’équipe a tout d’abord servi des repas aériens dans trois configurations distinctes : un environnement de laboratoire (une cabine de la taille d’un isoloir très calme fermé ou à demi fermé), un laboratoire transformé en environnement aérien semi-réaliste avec un ameublement et des fournitures de vol et un lors d’un vrai vol en avion. Les volontaires ont alors plus apprécié le plat dans le laboratoire que dans l’environnement aérien.

Un test de nourriture assisté par la réalité virtuelle (RV)

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Source: DR
Crédits : Seamus Daniel/Université RMIT

Étant donné que les préférences individuelles et expériences personnelles revêtent aussi une forte importance, les chercheurs ont voulu tester la perception des goûts et arômes chez différentes personnes tout en simulant l’environnement de la Station Spatiale internationale en RV pour créer plus fidèlement une sensation de présence dans l’espace. Grâce au retour direct des 54 participants équipés du casque pour comparer la différence de ressenti entre l’ISS simulé et un environnement de contrôle, marquant alors une différence claire de perception entre les deux.

D’après l’étude, pour les molécules sucrées comme la vanille, l’amande ou le benzaldéhyde (qui sent la cerise), la perception était plus forte dans la simulation que dans l’environnement de contrôle. En revanche, la différence était moins marquée avec l’arôme de citron. Cela laisse ainsi suggérer que l’utilisation d’arômes sucrés pourrait avoir un effet exhausteur de goût efficace, bien qu’il faille aussi trouver la bonne concentration pour plaire aux préférences uniques de chacun. Les scientifiques estiment en tout cas qu’une personnalisation de la nourriture basée sur l’expérience sensorielle et les goûts de chaque astronaute pourrait les encourager à manger plus et avec plaisir.

Pour améliorer la nourriture de l’espace… et sur notre planète

Ces recherches pourraient aussi avoir des implications sur Terre pour les personnes qui vivent dans des environnements isolés ou confinés (militaires déployés, équipage de sous-marin, résidents des foyers de soins, etc.). « Une sensation accrue de solitude et d’isolation peut aussi jouer un rôle et il y a des implications issues de cette étude portant sur la manière dont les personnes isolées sentent et goûtent la nourriture », note à ce titre la Dre Julia Low du RMIT.

« L’un des objectifs à long terme de cette recherche est de préparer une nourriture personnalisée et meilleure pour les astronautes et les personnes qui évoluent dans des environnements isolés pour augmenter leur apport nutritionnel et se rapprocher des 100 % », conclut-elle.

Julie Durand

Rédigé par Julie Durand

Autrefois enseignante, j'aime toujours autant partager mes connaissances et mes passions avec les autres. Je suis notamment passionnée par la nature et les technologies, mais aussi intriguée par les mystères nichés dans notre Univers. Ce sont donc des thèmes que j'ai plaisir à explorer sur Sciencepost à travers les articles que je rédige, mais aussi ceux que je corrige.