Pour peindre d’aussi belles toiles, nos ancêtres se sont-ils sciemment privés d’oxygène ?

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Peinture rupestre de la Grotte de Rouffignac. Crédits : Wikipédia

Un nouvel article publié suggère que d’anciens artistes des cavernes se sont peut-être sciemment privés d’oxygène au fond des grottes pour peindre leurs tableaux dans des états seconds.

Il y a plusieurs milliers d’années, certains de nos ancêtres se sont aventurés dans des grottes profondes, sombres et sinueuses pour décorer les murs. Impossible cependant d’atteindre le fond de ces cavernes sans lumière.

Aussi, les artistes de l’âge de pierre devaient probablement ramper et se contorsionner dans ces espaces très étroits avec des torches. D’après une équipe d’anthropologues, la fumée qui s’en dégageait aurait alors fait chuter les niveaux d’oxygène déjà pas très hauts, induisant finalement un état de conscience altéré. Et d’après eux, c’était délibéré.

Au fond des grottes

« Il y a quelques années, alors que je visitais des grottes en France, j’ai commencé à remarquer que la plupart des dessins se trouvaient au fond des cavernes très étroites« , explique Yafit Kedar de l’Université de Tel-Aviv. « J’ai commencé à me demander : pourquoi ont-ils choisi de travailler de cette façon ? Pourquoi ne pas peindre à l’entrée des grottes pour profiter de la lumière naturelle ?« 

Dans le cadre de travaux récents, Kedar et son équipe ont modélisé l’effet des torches sur le flux d’air d’une grotte.

Dans une caverne profonde avec une seule entrée, les simulations montrent que les niveaux d’oxygène peuvent chuter en dessous de 18% en à peine quinze minutes (contre 21% habituellement). Or, chez l’Homme, la privation d’oxygène peut libérer de la dopamine dans le cerveau, entraînant parfois de la somnolence, de l’euphorie ou des hallucinations.

L’utilisation supplémentaire du feu complique encore davantage les choses. Dans une grotte ayant un accès ouvert au monde extérieur, une flamme a tendance à créer deux couches d’air distinctes. Se forment alors une couche inférieure, constituée d’air de l’extérieur, et une couche supérieure constituée de gaz d’échappement (principalement du CO2) émanant de la torche.

Dans un passage étroit, en revanche, les couches supérieure et inférieure ont tendance à se mélanger partiellement. En outre, les atomes d’oxygène sont plus légers que ceux du dioxyde de carbone. C’est pourquoi l’oxygène a tendance à flotter vers le haut, redescendant les tunnels jusqu’à l’entrée. Concrètement, plus on se déplace profondément dans un système de grottes avec une torche à la main, plus on se prive d’oxygène.

Dans diverses simulations, lorsque la ventilation était particulièrement restreinte, les chercheurs ont découvert que les niveaux d’oxygène pouvaient descendre jusqu’à 9%. Au-delà, vous pourriez perdre connaissance.

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Grotte de Rouffignac. Les points rouges représentant l’emplacement des dessins. Crédits : Dachary

L’hypoxie comme principal moteur de créativité

Se retrouver dans un tel état, à la limite du supportable, pourrait sans problème vous dissuader de vous aventurer dans de tels environnements. Pourtant, les dessins sont là. Il y a entre 14 000 et 40 000 ans, certains de nos ancêtres pourraient donc avoir délibérément fait le choix de s’y retrancher. Essuyant les effets de la privation sensorielle combinés au manque d’oxygène, ces derniers auraient ensuite laissé exprimer leur créativité.

L’utilisation des plantes psychoactives pour atteindre les mêmes niveaux de conscience apparaitra quant à elle beaucoup plus tard dans les archives archéologiques. Sans elles, nos ancêtres pourraient donc avoir privilégié l’hypoxie. Les détails de l’étude sont publiés dans le Journal of Archaeology, Consciousness and Culture.