La recherche scientifique s’appesantit souvent sur les impacts environnementaux liés au changement climatique (la perte de biodiversité, la montée du niveau des mers, etc.) ou les crises économiques liées aux catastrophes naturelles. Cependant, la science s’intéresse plus rarement aux répercussions purement sociales. Dans une étude, des chercheurs de l’University College London dévoilent pourtant un lien glaçant entre le changement climatique et une prévalence accrue de la violence contre les femmes, toujours les premières victimes dans les pays sévèrement touchés par le réchauffement climatique.
Violence contre les femmes et changement climatique
Ce sujet ne semble peut-être pas nouveau. En effet, au Kenya, des femmes ont par le passé été chassées de leur foyer par des hommes frustrés à cause de la sécheresse sévère qui avait plongé les familles dans la pauvreté. En Espagne, une étude de 2018 montrait que le risque de meurtre et de violence conjugale contre les femmes a augmenté quelques jours après une vague de chaleur. Au Pérou, l’ONU s’inquiétait par ailleurs que les femmes soient obligées de voyager plus loin pour trouver de l’eau, ce qui les expose alors à des violences sexuelles. Et après que l’ouragan Katrina a frappé la côte du golfe des États-Unis en août 2005, l’ONU a rapporté que les viols avaient augmenté dans les parcs de caravanes du Mississippi, atteignant plus de 53 fois le taux de référence de l’État.
Cette nouvelle analyse, publiée dans la revue PLoS Climate, est toutefois la première à fournir un ensemble complet de preuves sur la manière dont les évènements climatiques extrêmes (tels que les tempêtes, les glissements de terrain et les inondations) peuvent influencer les taux nationaux de violence conjugale dans les deux années suivant leur survenue.
Pour ce faire, les chercheurs ont recueilli des données sur la violence conjugale (ici définie comme toute violence physique et/ou sexuelle au cours de l’année précédente) à partir de 363 enquêtes menées dans 156 pays entre 1993 et 2019, en se concentrant sur les femmes qui ont actuellement un partenaire. L’équipe a également collecté des données sur les évènements climatiques de 1920 à 2022 dans 190 pays. Ils ont ensuite analysé la relation entre les deux, tout en tenant compte du statut économique du pays.
Certains évènements météorologiques extrêmes posent de plus grands risques
Cette étude montre qu’il existe bel et bien un lien significatif entre la violence conjugale et certains évènements climatiques, plus particulièrement les tempêtes, les glissements de terrain et les inondations. En revanche, d’autres types de catastrophes comme les tremblements de terre et les feux de forêt n’ont pas montré de lien clair avec la violence conjugale.

L’étude, qui a été réalisée en collaboration avec des chercheurs de l’Université d’Exeter, du South African Medical Research Council et de l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill, a également révélé que les pays avec un PIB plus élevé présentaient des taux de violence conjugale plus faibles. La professeure Jenevieve Mannell du UCL Institute for Global Health, également autrice principale de l’étude, affirme ainsi que « les preuves existantes ont montré que lorsqu’une femme subit un évènement lié au climat, elle est plus susceptible de subir des violences dans certains pays et pour certains types de violences, mais pas pour d’autres. »
Quelques limites de l’étude
Les chercheurs n’ont pas été en mesure d’évaluer pourquoi différents évènements climatiques ont plus d’impact sur la violence conjugale que d’autres. Néanmoins, ils n’excluent pas que certains prennent plus de temps avant d’avoir un effet sur la violence, ce qui pourrait donc ne pas avoir été capturé dans la fenêtre de deux ans étudiée en raison de la disponibilité des données. Par conséquent, ils appellent à une collecte de données plus régulière par les pays pour mesurer la violence domestique dans le contexte du changement climatique.
Des effets sociaux à long terme qui tendent à être négligés
Cette recherche contribue également aux preuves mondiales concernant les impacts sociaux des catastrophes climatiques qui peuvent souvent se faire sentir bien après les évènements, renforçant ainsi l’argument en faveur de la nécessité d’une prise de décision et d’une action politiques.
La professeure Mannell explique en effet qu’« un petit nombre de preuves montre que la chaleur et l’humidité augmentent les comportements agressifs, y compris la violence. Les catastrophes liées au climat augmentent le stress et l’insécurité alimentaire dans les familles, ce qui peut entraîner une augmentation de la violence. Elles réduisent également les services sociaux souvent disponibles pour faire face à la violence conjugale, tels que la police et la société civile, qui sont davantage concentrés sur la catastrophe. »
Elle ajoute également que « dans le même temps, les gouvernements peuvent mettre en place des abris pour les secours en cas de catastrophe qui sont souvent surpeuplés et dangereux, sans tenir compte des risques de violence sexuelle. »
Surtout, ces recherches montrent que la violence domestique est de plus en plus répandue et sévère et s’est également avérée plus fréquente dans les pays ayant des sociétés patriarcales où la violence contre les femmes est plus largement normalisée et considérée comme acceptable.

Des efforts nécessaires face au changement climatique
Malgré ces conclusions alarmantes, les chercheurs estiment que des efforts appropriés d’atténuation et d’adaptation au changement climatique peuvent jouer un rôle important dans la réduction de la violence contre les femmes.
Ils recommandent à ce titre d’inclure la violence contre les femmes dans les engagements des pays en matière de changement climatique et d’allouer des financements pour y remédier. Les experts ont également suggéré que le potentiel d’une augmentation de la violence contre les femmes devrait être pris en compte dans les processus de planification des catastrophes des pays. L’étude cite notamment deux exemples, les Samoa et Fidji, deux pays qui ont déjà pris des mesures en ce sens.
Retrouvez l’étude complète sur ce lien.
