Lorsque la survie des humains est en jeu, ils peuvent compter sur les services d’urgence et médicaux pour les aider et les remettre sur pied. Toutefois, le règne animal, exposé à maints dangers chaque jour, n’a pas cette chance. Pour ne pas se retrouver condamnée, la faune doit donc parfois se résoudre à avoir recours à des moyens étonnants… et parfois extrêmes. Une nouvelle étude dévoile par exemple comment des colonies de fourmis doivent avoir recours au cannibalisme en mangeant leurs bébés pour assurer leur survie.
Ces travaux, qui ne sont pas sans rappeler le cas des fourmis enfermées dans un bunker qui ont dû devenir cannibales pour subsister ou encore celles qui opèrent leurs congénères blessées, montrent une fois encore les stratégies fascinantes employées par ces insectes pour survivre et prospérer.
Des stratégies de survie pour les colonies de fourmis
Les fourmis et les autres insectes sociaux évoluant en colonie peuvent contrer la propagation des maladies en isolant les ouvrières malades ou en éliminant les membres du nid infectés. Il s’agit de techniques bien connues pour préserver l’immunité sociale de tout le groupe.
Toutefois, les reines des fourmis font face à un défi de taille puisqu’elles commencent leurs colonies seules. Aussi, comment se défendent-elles contre les maladies lorsqu’elles établissent un nouveau nid ? En effet, au cours de ces premières étapes, la colonie est extrêmement vulnérable aux maladies, ce qui constitue une menace sérieuse pour sa réussite et sa survie. Or, les reines ne peuvent pas simplement traîner les larves malades hors du nid. Elles sont enfermées à l’intérieur avec ces jeunes malades et sans personne pour les aider. Alors, comment font-elles face à la situation ?
Pour le découvrir, deux chercheurs ont collecté des reines de fourmis noires de jardin (Lasius niger) nouvellement accouplées pour les étudier en laboratoire. Une fois que les fourmis ont commencé à pondre des œufs et à établir des colonies naissantes, les chercheurs ont retiré ces larves et en ont exposé certaines à des spores du champignon Metarhizium, mortel pour les fourmis sauvages. Après que ces larves aient eu le temps de développer des infections qui deviendraient fatales, l’équipe les a rendues à leur mère à un stade où elles n’étaient toutefois pas encore contagieuses.

La réaction des reines de fourmis : le cannibalisme hygiénique
« Nous avons observé les reines se mettre immédiatement au travail dès qu’elles trouvaient une larve malade dans leur tas. Elles passaient plusieurs heures à s’assurer que chaque morceau était consommé », explique le Dr Pull, le chercheur principal et membre du Département de biologie d’Oxford. Les reines ont alors mangé 92 % de leurs jeunes malades, mais seulement 6 % des larves non infectées, ce qui montre qu’elles étaient tout à fait capables de détecter précisément l’infection et d’intervenir.
Il est à ce titre à noter que ne pas détecter l’infection pourrait avoir des conséquences désastreuses pour ces animaux. En effet, lorsque l’équipe a exposé des colonies à des cadavres de larves très infectieux et couverts de champignons produisant des spores, tous les nids sont morts. Par ailleurs, seulement 20 % des reines ont survécu, même après avoir aspergé les cadavres d’un venin acide et antimicrobien.
Une attitude risquée, mais nécessaire
Après avoir mangé les bébés, toutes les reines ont survécu au festin malgré le risque potentiel de contagion. Comment est-ce possible ? En fait, les scientifiques pensent que les reines se protègent en avalant un venin antimicrobien qu’elles produisent dans une glande unique située à l’extrémité de leur abdomen. Cela rend alors leur intestin hostile aux spores fongiques. Les scientifiques ajoutent en outre que certaines reines de fourmis ont même été observées en train de masser cette glande pendant leurs séances de repas, ce qui renforce cette hypothèse.
« Si la reine est infectée et meurt, la colonie meurt », insiste Sebastian Stockmaier de l’Université du Tennessee, à Knoxville, qui n’a pas participé à l’étude. En effet, elle est le seul individu reproducteur. Il est donc logique qu’une stratégie évoluée pour faire face aux maladies mette l’accent sur la survie de la reine.

Un autre avantage surprenant pour la colonie
D’après l’équipe, manger les bébés malades apporte d’autres avantages plus étonnants que la simple élimination du risque de maladie. Les chercheurs ont en effet découvert que les reines qui mangeaient leurs jeunes malades pondaient 55 % d’œufs de plus que celles qui ne le faisaient pas. Ils suggèrent ainsi qu’elles avaient probablement recyclé ces ressources caloriques.
« Les reines commencent leurs colonies seules, sacrifiant une grande partie de leur propre subsistance pour élever leur première génération d’ouvrières. Les reines qui produisent le plus d’ouvrières ont une plus grande chance de survie », a expliqué Flynn Bizzell, co-auteur de l’étude. « En mangeant et en recyclant les larves infectées pour la production de nids, des ressources précieuses ne sont pas perdues. »
Des interrogations fascinantes sur ce comportement chez les fourmis
Ce comportement de cannibalisme intrigant dévoile en tout cas la stratégie reproductive complexe adoptée par les fourmis où chaque action est dirigée vers la maximisation du succès de la colonie. Ces résultats suggèrent en effet que les comportements nécessaires pour prendre soin des jeunes et protéger les colonies naissantes contre les maladies se chevauchent.
Selon Joël Meunier, de l’Université de Tours en France, qui n’a pas participé aux recherches, cette étude soulève en tout cas des interrogations passionnantes. En effet, il est tout à fait possible que les descendants éclos après que leurs frères et sœurs plus âgés aient été mangés ont des systèmes immunitaires mieux protégés contre l’infection fongique. De futures études sur le sujet pourraient de ce fait apporter des preuves de bénéfices doubles à ce cannibalisme filial, tant pour la mère que pour la progéniture.
Vous pouvez consulter ces recherches en détail sur ce lien.
