Un programme de conservation proposé sur l’île Maria pour sauver les diables de Tasmanie de l’extinction a eu des effets néfastes sur d’autres espèces emblématiques de l’île. Ces résultats avaient pourtant été prédits en premier lieu.
Depuis les années 90, le diable de Tasmanie (Sarcophilus harrisii), le plus grand marsupial carnivore du monde, essuie une forme de cancer contagieuse. La maladie se transmet généralement par les morsures que s’infligent ces animaux entre eux. Des tumeurs se développent alors dans la gueule, les empêchant finalement se nourrir. Avant l’apparition de cette épidémie il y a trente ans, ils étaient encore 150 000 dans la nature. Désormais, il y en a moins de 30 000.
Pour tenter de sauver l’espèce de l’extinction, plusieurs programmes de réintroduction ont été développés. En 2012, certains spécimens sains ont ainsi rejoint l’île Maria – un bout de terre de 116 kilomètres carrés situé à l’est de la Tasmanie – grâce au Département tasmanien des industries primaires, des parcs, de l’eau et de l’environnement (DPIPWE).
Certains programmes ont été couronnés de succès. Des diables de Tasmanie ont par exemple été réintroduits en Australie continentale trois mille ans après en avoir disparu il y a quelques mois, et certains se sont déjà reproduits. Concernant l’île Maria, le bilan est beaucoup plus mitigé.
Un désastre écologique
Les diables se sont effectivement multipliés, mais de manière incontrôlée. Les autorisés prédisaient une taille de population comprise entre 60 et 90 individus. Or aujourd’hui, ils sont plus d’une centaine. Les diables de Tasmanie sont ainsi devenus les prédateurs dominants, et d’autres espèces ont malheureusement pâti de leur présence.
Dans le cadre d’une récente enquête, des chercheurs ont en effet souligné la perte de plus de 3 000 couples reproducteurs de manchots pygmées (Eudyptula minor) évoluant sur l’île. Sur cet échantillon, de nombreux adultes ont été chassés et dévorés, quand d’autres ont préféré fuir les lieux sous la pression de la prédation.
Les petits manchots ne sont pas seuls à pâtir de l’arrivée des diables. Les populations de Puffins à bec grêle (Puffinus tenuirostris), d’oies du Cap (Cereopsis novaehollandiae) et de Gallinule de Tasmanie (Tribonyx mortierii) souffrent également.
Une décision précipitée
Le bilan ne passe pas auprès de beaucoup d’écologistes, à commencer par Eric Woehler, ornithologue à l’Université de Tasmanie et chef du groupe de conservation BirdLife Tasmania, qui n’hésite pas à blâmer le DPIPWE pour sa gestion de la situation. « C’était un résultat prévisible et évitable », explique le chercheur à Livescience.
D’ailleurs, les diables de Tasmanie n’auraient peut-être jamais dû être réintroduits sur l’île Maria en premier lieu. En 2011, le DPIPWE avait en effet publié un rapport prédisant que l’arrivée de ces marsupiaux aurait « un impact négatif » sur les colonies d’oiseaux, selon The Guardian. Finalement, la volonté de sauver les diables de Tasmanie a conduit à la « décision irréfléchie de les introduire malgré tout », poursuit Woehler.
De son côté, la DPIPWE se défend de toute accusation. « Le programme Save the Tasmanian Devil (STDP) surveille, évalue et examine en permanence la population du diable et les activités du programme », a déclaré à Live Science un porte-parole du département. « Tous les programmes de conservation efficaces sont adaptatifs et le PDTS continuera d’évoluer en fonction des nouvelles connaissances scientifiques et des priorités émergentes ».
De manière un peu ironique, une récente étude publiée dans Science laisse à penser que les diables de Tasmanie commencent à s’adapter au cancer qui décime leurs populations depuis plusieurs décennies. Par conséquent, l’introduction de diables de Tasmanie sur l’île Maria était finalement inutile.