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Crédits : Nnorozoff/iStock

Les bourdons et les chimpanzés aussi peuvent se transmettre des compétences

La culture cumulative pourrait se définir comme la progression constante de nos performances, connaissances et technologies au fil des générations. Cela aurait notamment conduit à l’expansion de l’humanité et aurait favorisé sa domination sur le monde. En l’état des choses, on a donc pendant très longtemps pensé que la capacité de transmettre des savoirs et compétences était réservée à l’homme. Cependant, plus la recherche avance, plus la nature nous donne tort. Des expériences démontrent en effet que grâce à l’apprentissage social, et notamment l’observation de leurs pairs, certains animaux pouvaient acquérir facilement de nouvelles aptitudes. D’ailleurs, deux études publiées le mercredi 6 mars portant sur les bourdons (qui sont déjà les premiers insectes à jouer connus) et les chimpanzés tendent une fois de plus à sévèrement nous détromper.

Ces travaux montrent en effet que ces animaux ont développé des compétences si compliquées qu’il leur aurait été tout bonnement impossible de les réussir sans une transmission par leurs pairs.

Le cas des bourdons

Pour cette expérience, relatée dans la Nature, les chercheurs devaient d’abord entraîner les bourdons (Bombus terrestris) à la réalisation d’une tâche complexe. Cela devait ensuite leur permettre de tester leur habileté à enseigner leur savoir-faire à des pairs. Pour réussir ce casse-tête en deux étapes, elles devaient pousser une languette bleue, puis une autre rouge pour avoir accès à la récompense sucrée.

Comme l’explique Alice Bridges, la coautrice de l’étude qui travaille à l’Université Queen Mary (Londres) : « Il s’agit d’une tâche très difficile pour les bourdons, car nous leur demandons d’apprendre quelque chose sans rien en échange » pendant la première étape. Aussi, beaucoup d’insectes abandonnaient dès la première étape. Pour s’adapter, les chercheurs durent alors proposer la solution au sucrose après la première étape et la retirer graduellement à mesure que les bourbons comprenaient mieux l’exercice.

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Schéma qui montre le principe de l’expérience. Crédits : Alice D. Bridges, Lars Chittka et coll./Nature, 2024.

Dans un second temps, les bourdons exercés furent mis en paire avec des bourdons qui ne connaissaient pas l’expérience. Ces derniers purent regarder leurs comparses réaliser la tâche avant de se lancer eux-mêmes. Or, cinq parmi les quinze nouveaux bourdons furent alors capables de résoudre le casse-tête directement sans avoir besoin d’une récompense dès la première étape. Après la première réussite, la scientifique et ses collègues exultèrent : « Nous étions tellement surpris. Nous sommes tous devenus fous. »

L’enthousiasme est également partagé par Alex Thornton, un professeur d’évolution cognitive à l’Université d’Exeter qui n’a pas participé à l’étude. Même s’il reconnaît que le nombre de bourdons testés ici était moindre, il affirme que les résultats sont très clairs et probants : « la tâche était exceptionnellement complexe à apprendre seuls. Toutefois, quelques bourdons ont réussi à la résoudre grâce à l’apprentissage social. »

Ces résultats chez le bourdon ouvrent la voie à des perspectives exaltantes

D’après les auteurs de ces travaux, il s’agit de la toute première démonstration de culture cumulative chez un invertébré. Ces recherches ouvrent ainsi la voie à une toute nouvelle compréhension de l’émergence et de l’évolution de la culture cumulative dans le règne animal, notamment chez les insectes, souvent considérés comme des créatures peu complexes.

Comme le précise le professeur Lars Chittka, un collègue universitaire d’Alice Bridges ayant mené l’étude avec elle : « Cela remet en question la vision traditionnelle selon laquelle seuls les humains peuvent apprendre un comportement complexe qui va au-delà de l’apprentissage individuel. Cela soulève la possibilité que beaucoup des accomplissements les plus remarquables chez les insectes sociaux, comme les architectures des nids chez les abeilles et les guêpes […], puissent s’être initialement répandus en copiant des innovateurs astucieux avant même qu’ils ne commencent à faire partie du répertoire de comportements spécifiques à ces espèces. »

Le cas des chimpanzés

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Voici ce à quoi ressemblait la boîte utilisée pour l’expérience. Crédits : Edwin J. C. van Leeuwen et coll./Nature Human Behaviour, 2024

Une autre étude publiée par une autre équipe dans Nature-Human Behaviour s’attarde quant à elle sur les chimpanzés, qui comptent parmi nos cousins vivants les plus rapprochés. Pour ces travaux, une troupe de chimpanzés semi-sauvages du Chimfunshi Wildlife Orphanage, en Zambie, a eu affaire à un casse-tête un peu plus compliqué que celui destiné aux bourdons. Il impliquait en effet de récupérer une balle en bois, de tirer un tiroir pour le garder ouvert et de faire glisser la balle à l’intérieur par un petit orifice de manière à libérer la récompense (une cacahuète).

Pendant trois mois, 66 chimpanzés essayèrent de trouver la solution, sans succès. Les scientifiques décidèrent ensuite de montrer à deux d’entre eux comment réussir à obtenir une cacahuète. Après seulement deux mois, quatorze chimpanzés de plus réussissent à libérer la nourriture sans l’aide des chercheurs pour leur montrer la marche à suivre. Par ailleurs, plus ces primates observaient les autres faire, plus la résolution du casse-tête devenait facile et rapide pour eux.

Pour Alice D. Bridges, ces études ne peuvent que « défier l’idée selon laquelle la culture cumulative est cette aptitude extrêmement complexe et rare que seules les espèces vraiment les plus ‘intelligentes’, comme les humains, sont à même d’avoir. » Alex Thornton ajoute quant à lui que cette dernière étude montre encore une fois à quel point « les gens ont l’habitude de surestimer leurs capacités par rapport à celles des autres animaux. »

Julie Durand

Rédigé par Julie Durand

Autrefois enseignante, j'aime toujours autant partager mes connaissances et mes passions avec les autres. Je suis notamment passionnée par la nature et les technologies, mais aussi intriguée par les mystères nichés dans notre Univers. Ce sont donc des thèmes que j'ai plaisir à explorer sur Sciencepost à travers les articles que je rédige, mais aussi ceux que je corrige.