Et si les médecins pouvaient tester un traitement contre le cancer sur vos cellules… sans jamais vous l’administrer ? C’est exactement ce que permet une nouvelle invention révolutionnaire développée à l’Université de New York : une « leucémie sur puce », minuscule dispositif capable de simuler à la fois le fonctionnement de la moelle osseuse humaine et une réponse immunitaire complète. Un outil de haute précision qui pourrait transformer notre manière de concevoir les immunothérapies, tout en s’éloignant définitivement des modèles animaux.
Une moelle osseuse miniature, mais fonctionnelle
Le dispositif, à peine plus grand qu’une carte de crédit, a été mis au point par une équipe dirigée par le professeur Weiqiang Chen, ingénieur biomédical à la NYU Tandon School of Engineering. Il reproduit fidèlement les trois zones clés de la moelle osseuse : les vaisseaux sanguins, la cavité médullaire et la paroi osseuse. Une fois « ensemencé » avec des cellules de moelle osseuse humaine – prélevées sur de vrais patients – ce petit écosystème s’auto-organise, comme un organisme vivant miniature.
Les cellules ne se contentent pas de survivre dans ce micro-environnement. Elles commencent à produire elles-mêmes les protéines structurales présentes dans notre corps – collagène, fibronectine, laminine – créant un cadre réaliste pour les interactions cellulaires. Et c’est là que la magie opère : une véritable réponse immunitaire humaine émerge dans cette mini-moelle en plastique.
Observer les traitements en temps réel
Ce modèle ouvre une fenêtre inédite sur le comportement des traitements d’immunothérapie, notamment les fameuses cellules CAR-T. Ces cellules immunitaires sont extraites du patient, génétiquement modifiées pour attaquer les cellules cancéreuses, puis réinjectées dans le corps. Prometteuse, cette thérapie reste imparfaite : certains patients rechutent, d’autres subissent des effets secondaires graves, et personne ne sait à l’avance qui réagira bien.
Avec cette puce, les chercheurs peuvent désormais visualiser en temps réel comment les cellules CAR-T naviguent dans un environnement humain simulé. Grâce à l’imagerie haute résolution, ils ont observé ces cellules modifiées foncer à travers les tissus sains, ralentir à l’approche des cellules cancéreuses, puis les éliminer une par une. Mieux : un phénomène inattendu est apparu. En attaquant les cellules cancéreuses, les CAR-T activent aussi d’autres cellules immunitaires restées « en attente », déclenchant un effet secondaire bénéfique baptisé effet spectateur. Un mécanisme encore mal compris, mais potentiellement exploitable pour booster l’efficacité des thérapies.
Simuler les résultats cliniques à l’avance
L’équipe de Chen ne s’est pas arrêtée là. En modifiant certaines conditions sur la puce (type de cellules, dosage, environnement), ils sont parvenus à reproduire des scénarios cliniques complexes : rémission complète, rechute, ou même résistance totale au traitement. Résultat : cette plateforme pourrait devenir un outil de prédiction hyper fiable pour les oncologues. Faut-il administrer la thérapie CAR-T version 3 ou version 4 ? À quelle dose ? Et surtout : va-t-elle fonctionner sur ce patient précis ? La réponse pourrait bientôt tenir sur une puce.
Pour affiner encore la précision de leurs tests, les chercheurs ont développé un indice mathématique qui évalue l’efficacité de la réponse immunitaire dans divers scénarios. Cette approche intégrative, qui combine imagerie, mesure d’activité cellulaire et modélisation, offre un cadre analytique puissant, adaptable à chaque profil patient.

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Crédits : shironosov/istockUne révolution sans souris de laboratoire
Au-delà de la précision, c’est aussi un changement de paradigme éthique. Alors que la FDA américaine commence à envisager un abandon progressif des tests sur animaux pour les nouveaux médicaments, cette technologie tombe à pic. Plus besoin d’attendre des mois pour développer un modèle animal approximatif. La « leucémie sur puce » peut être assemblée en quelques heures, prête à tester un traitement en moins de deux semaines.
Et contrairement aux tests sur animaux, elle permet une observation directe, à l’échelle cellulaire, du fonctionnement du système immunitaire humain. Une étape cruciale pour comprendre pourquoi certains patients rechutent ou réagissent mal à certaines thérapies.
Un futur sur mesure
On imagine déjà un futur où chaque patient atteint de leucémie (ou d’autres cancers du sang) bénéficierait de son propre « jumeau numérique biologique » sur puce. Une version miniature de son système immunitaire, testée en laboratoire, pour déterminer à l’avance quel traitement lui conviendra le mieux, sans essai-erreur.
Selon Weiqiang Chen, cette technologie pourrait être intégrée à la pratique clinique dans les années à venir, notamment en combinaison avec des plateformes d’intelligence artificielle. L’idée : créer une médecine ultra-personnalisée, fondée non pas sur les statistiques, mais sur votre propre biologie.
Les détails de ces travaux sont rapportés dans la revue Nature Biomedical Engineering.
