cancer colorectal
Crédits : Mohammed Haneefa Nizamudeen/istock

Cancer : la terrifiante stratégie des cellules qui rejouent le plan de fabrication de l’embryon !

Le cancer, ce fléau du vivant, a encore frappé là où on ne l’attendait pas : dans les secrets bien gardés de notre développement embryonnaire. Une équipe de chercheurs internationaux menée par l’Université de Linköping, en Suède, a mis en lumière une stratégie étonnante utilisée par les cellules tumorales du cancer colorectal. Ces cellules exploitent une voie de signalisation normalement utilisée pour faire pousser nos bras, nos jambes et même notre cœur avant la naissance. Et ce n’est pas tout : elles coopèrent avec une protéine clé de l’embryogenèse, TBX3, pour devenir plus agressives et se propager à travers l’organisme.

Cette découverte, publiée dans la prestigieuse revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), éclaire un mécanisme jusque-là insoupçonné — et ouvre la voie à de nouvelles thérapies ciblées, potentiellement moins toxiques pour les cellules saines.

Des cellules cancéreuses… qui rejouent la partition de l’embryon

« Les cellules cancéreuses ne font rien de nouveau. Elles recyclent ce que le corps sait déjà faire, mais au mauvais moment et au mauvais endroit », explique Claudio Cantù, professeur de biologie cellulaire et moléculaire à l’université de Linköping et auteur principal de l’étude.

Parmi les mécanismes clefs du développement embryonnaire figure la voie de signalisation Wnt. Cette molécule joue un rôle central dans la communication entre cellules : elle dicte, en quelque sorte, quand une cellule doit se diviser, se spécialiser ou migrer. Elle est absolument indispensable pour passer de l’état de cellule unique à un organisme composé de milliards de cellules organisées.

Mais Wnt a aussi un côté sombre. Dans environ 80 % des cas de cancer colorectal, cette voie de signalisation s’emballe : la cellule perd le contrôle, et commence à se diviser sans fin. Le problème ? Cette même voie Wnt est aussi vitale pour les cellules souches normales, notamment celles de l’intestin qui doivent se renouveler constamment. Résultat : bloquer Wnt pour tuer les cellules cancéreuses reviendrait à saboter le système immunitaire du patient.

Cancer du côlon cancer colorectal tumeur maligne cellules cancéreuses
Crédits : Mohammed Haneefa Nizamudeen/iStock

TBX3, une protéine au double visage

C’est là que la nouvelle découverte entre en jeu. L’équipe de Cantù a identifié un partenaire-clé de Wnt : la protéine TBX3, connue pour son rôle dans la formation des membres et du cœur chez l’embryon. Si le gène TBX3 est défectueux, cela entraîne des malformations sévères. Mais chez l’adulte, cette protéine ne devrait normalement plus être active.

Or, les chercheurs ont montré que TBX3 était réactivée dans les cellules tumorales colorectales, où elle coopère avec Wnt pour activer des gènes favorisant la dissémination des cellules cancéreuses. En clair : TBX3 rend les tumeurs plus mobiles, plus invasives, et donc plus susceptibles de former des métastases.

Une cible prometteuse pour stopper la propagation

La bonne nouvelle ? Les cellules souches normales de l’intestin n’ont pas besoin de TBX3 pour fonctionner. Cela signifie qu’en théorie, bloquer cette protéine dans les cellules cancéreuses pourrait ralentir ou stopper leur propagation, sans nuire aux tissus sains.

« Nos résultats montrent que TBX3 est un levier que seules les cellules cancéreuses actionnent », affirme Claudio Cantù. « C’est une porte d’entrée vers des thérapies plus précises, qui épargnent l’organisme. »

Un pont entre biologie du développement et cancérologie

Cette recherche illustre à quel point les frontières entre biologie du développement et cancérologie sont étroites. Ce que le corps utilise pour créer la vie peut, dans d’autres contextes, être détourné pour favoriser la maladie. Le constat n’est pas nouveau, mais il prend ici une ampleur inédite.

Ce mécanisme — la coopération entre Wnt et TBX3 — semble universel. Il existait chez les dinosaures, il existe chez l’humain, et maintenant, on sait qu’il peut être activé dans les cellules cancéreuses. Un rappel saisissant que la biologie, même dans ses erreurs les plus graves, ne fait que réutiliser ses propres codes.

Vers un futur sans métastases ?

La prochaine étape consistera à développer des médicaments capables de bloquer TBX3 spécifiquement dans les cellules tumorales, sans perturber les tissus sains. Si cela réussit, ce serait un pas majeur vers des traitements plus sûrs, plus ciblés et potentiellement curatifs contre le cancer colorectal, l’un des cancers les plus meurtriers dans le monde.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.