Pour sauver une espèce en danger d’extinction aux États-Unis, un plan officiel controversé prévoit d’abattre près d’un demi-million de chouettes rayées dans les trois décennies à venir. Toutefois, ce projet est loin de faire l’unanimité et pourrait de toute façon ne pas avoir l’effet escompté.
Des chouettes en compétition
En Amérique du Nord, l’on peut retrouver environ 200 espèces de chouettes différentes. Et parfois, la cohabitation n’est pas aisée entre ces animaux. En effet, des chouettes rayées (Strix varia) qui vivent habituellement dans l’est du pays ont envahi l’habitat des chouettes tachetées du Nord (Strix occidentalis caurina) dans l’ouest du pays. Cela a ainsi provoqué une compétition pour les ressources et l’habitat, dont l’issue a été plus favorable pour l’espèce envahisseuse qui, bien qu’elle soit plus grande, nécessite moins d’espace pour vivre et qui a une progéniture plus abondante.
Cette invasion pèse donc fortement sur les populations locales déjà affaiblies par la déforestation ainsi que le changement climatique qui provoque des feux de forêt destructeurs ainsi que des hivers toujours plus humides et froids. Résultat : depuis 2020 la chouette tachetée est déclarée comme étant en voie de disparition après une diminution d’environ 75 % de sa population en deux décennies. Et sans elle, tout l’écosystème local deviendrait fortement déséquilibré.

Une décision drastique
En réaction au risque d’extinction, le service américain de la pêche et de la faune sauvage propose une solution radicale pour rétablir l’équilibre entre ces rapaces dans l’Oregon. Étant donné que la stérilisation de la chouette rayée n’aurait aucun effet avant une décennie et qu’une relocalisation aurait de faibles chances de fonctionner, les autorités locales proposent l’abattage de 450 000 chouettes rayées dans les trois décennies à venir.
« Nous sommes à la croisée des chemins, et nous avons maintenant développé la science et tout analysé. Nous devons gérer la chouette rayée. Il est encore temps de protéger les chouettes tachetées, mais cette fenêtre se referme », estime Bridget Moran, la superviseuse adjointe de l’État pour le Fish and Wildlife Service en Oregon. Le projet est encore en discussion. Toutefois, s’il était effectivement adopté, il commencerait au printemps prochain. Des enregistrements sonores d’appels de chouettes barrées seraient alors joués dans les forêts où vivent les chouettes tachetées pour attirer l’espèce envahisseuse en vue de l’abattre. 15 000 volatiles seraient alors tués par arme à feu annuellement.
« Sans gestion active des chouettes rayées, la chouette tachetée du Nord va sûrement s’éteindre complètement ou perdre la majorité de ses rangs, malgré des décennies d’efforts collaboratifs de conservation », ajoute sa collègue Kessina Lee qui fait ici référence aux efforts pour préserver les forêts qui abritent ces animaux et aux débats entourant l’exploitation forestière dans leurs zones de vie, réduits presque à néant par l’invasion de sa cousine rayée. Robin Bown, biologiste du Fish and Wildlife Service responsable du projet en question, tient des propos rassurants : « Les deux espèces subsisteront. Le programme n’éliminerait qu’environ 0,5 % des chouettes rayées du pays ». Elle rappelle en outre que 4 500 spécimens ont déjà été prélevés depuis 2009. Malgré tout, l’abattage divise l’opinion.
Face à l’abattage massif de chouettes rayées : les avis divergents
Il y a ceux qui sont contre…
Chez les défenseurs de la faune et de la flore, il n’existe aucun consensus sur la question. Pour beaucoup d’écologistes, cette décision ne serait toutefois qu’une diversion pour ne pas adopter des stratégies de conservation plus durables. Wayne Pacelle, le fondateur d’Animal Wellness Action advocacy group (un groupe de protection animale), s’oppose fermement au projet qui va selon lui faire passer le service américain de la pêche et de la faune sauvage de protecteur à persécuteur. Il estime en outre que ce programme pourrait ne pas fonctionner, les chouettes rayées risquant de migrer pour prendre la place de leurs comparses là où elles auront été abattues. Jennifer Best, la directrice du droit de la faune chez Friends of Animals, affirme quant à elle qu’« abattre des centaines de milliers de chouettes rayées est une proposition de gestion insensée et cruelle. »

Et ceux qui sont pour…
Néanmoins, bien que cela puisse étonner, certains protecteurs de la nature défendent ce plan. C’est par exemple le cas de Steve Holmer, le vice-président de l’American Bird Conservancy (une organisation à but non lucratif qui œuvre pour la conservation des oiseaux sauvages) qui pense que « la chouette rayée n’a pas sa place dans l’Ouest ». Réduire la population pourrait ainsi d’après lui permettre une cohabitation plus apaisée sur le long terme entre les deux espèces. D’autres pensent aussi que cela peut être bénéfique pour les proies dont elle se nourrit telles que les salamandres ou les écrevisses.
Reste que l’arrivée massive de rapaces rayés vers l’ouest pourrait aussi s’expliquer par un impact lié au changement climatique et que le fait d’abattre ces animaux pourrait aussi nuire à d’autres espèces, même sa cousine tachetée.
Ce conflit d’opinion, loin d’être réglé, aura néanmoins au moins mis une fois de plus en lumière les conflits de longue durée entre les défenseurs de la nature et les compagnies forestières, jugées trop gourmandes et destructrices pour la bonne préservation des habitats de la faune locale. Des efforts de protection et restauration des habitats naturels restent en effet prioritaires et essentiels. Sans cela, les espèces fragiles ne pourront dans tous les cas pas survivre…
