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Crédits : Jim Brandenburg

Une étude controversée suggère que les éléphants se sont auto-domestiqués

Les éléphants sont incroyablement sociables et emphatiques. Ils pleurent aussi leurs morts et se reconnaissent dans les miroirs, signe qu’ils sont conscients d’eux-mêmes. Et si ces traits avaient évolué en réponse à une auto-domestication ? C’est en tout cas l’idée avancée par une équipe de chercheurs. Mais de quoi parle t-on exactement et est-ce vraiment le cas ?

L’hypothèse de l’auto-domestication

L’hypothèse de l’auto-domestication est une théorie suggérant que les humains ont été en partie domestiqués par eux-mêmes, tout comme les animaux ont été domestiqués par l’Homme. Elle fut proposée pour la première fois dans les années 1960 par le biologiste russe Dmitri Belyaev dans le cadre de ses travaux sur la domestication des renards argentés. À l’époque, le chercheur avait constaté que ces derniers présentaient des traits physiques et comportementaux similaires à ceux des animaux domestiques, tels que des oreilles pendantes, des queues courbées, des poils plus doux et un caractère plus docile.

Les partisans de l’hypothèse de l’auto-domestication affirment que les humains ont développé des traits similaires, comme une diminution de la taille du crâne, des dents et des mâchoires plus petites, une diminution de la taille corporelle, une plus grande docilité et une tolérance accrue envers les autres membres de leur groupe. Selon cette hypothèse, ces changements auraient été provoqués par la pression sélective de vivre en groupe et de travailler ensemble pour survivre.

Cependant, l’idée reste controversée parmi la communauté scientifique. Beaucoup soutiennent en effet que les traits humains observés pourraient être le résultat d’autres pressions évolutives, telles que la modification des habitudes alimentaires ou la diminution des conflits entre les groupes humains.

Le cas des bonobos

Cette hypothèse a également été proposée pour expliquer l’évolution des bonobos, une espèce de grands singes proche des humains et étroitement apparentée aux chimpanzés.

Les bonobos sont en effet connus pour leurs comportements sociaux complexes, leur tendance à résoudre les conflits par la sexualité et leur niveau de tolérance élevé envers les autres membres de leur groupe. Certains ont ainsi proposé l’idée que ces primates avaient évolué par auto-domestication en réponse aux pressions environnementales et sociales qui ont encouragé des comportements pacifiques et coopératifs.

Toujours selon cette idée, les bonobos auraient alors développé des traits physiques et comportementaux similaires à ceux des animaux domestiques, comme une diminution de la taille des dents et des mâchoires, une diminution de la taille corporelle et une plus grande docilité envers les autres membres de leur groupe.

Cependant, là encore, cette théorie est controversée et n’a pas été largement acceptée par la communauté scientifique. Comme pour l’Homme, des primatologues estiment que les bonobos ont évolué en réponse à une variété de facteurs environnementaux et sociaux complexes, plutôt que par auto-domestication.

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Source: DR
Crédits : Jeroen Kransen/Flickr

Les éléphants aussi concernés ?

Ceci étant dit, un récent article publié dans les Actes de l’Académie nationale des sciences soutient l’idée que les éléphants se sont peut-être, eux aussi, auto-domestiqués.

Comme les humains et les bonobos, les éléphants modernes ont de faibles niveaux d’agressivité. Ils font preuve d’une « prosocialité accrue », faisant tout leur possible pour protéger et réconforter les autres. Et comme les humains (mais pas les bonobos), leur niveau de cortisol (la principale hormone du stress) augmente lorsque les animaux sont confrontés à des situations socialement difficiles.

Au total, les chercheurs expliquent avoir documenté dix-neuf traits cognitifs, comportementaux et physiologiques communs aux humains, aux bonobos et aux éléphants, mais pas aux autres espèces. En analysant le génome des éléphants d’Afrique, ils auraient également identifié 674 gènes associés à la domestication qui semblent évoluer rapidement.

Quant à savoir pourquoi cela aurait pu se produire, les scientifiques proposent quelques explications possibles. De par leur incroyable gabarit, les éléphants ont peu de prédateurs naturels. Ils ne sont pas non plus très regardants sur la nourriture. Cela signifie qu’ils peuvent consacrer plus de temps et de ressources à développer des aptitudes sociales.

Il est également possible qu’un événement particulier qui se serait produit dans un passé lointain ait forcé les ancêtres des éléphants à devenir particulièrement dépendants les uns des autres pour survivre. Par la suite, ces comportements auraient été positivement sélectionnés, puis transmis aux générations suivantes.

Cependant, tout le monde n’est pas d’accord avec cette hypothèse. C’est notamment le cas de Richard Wrangham, primatologue de l’Université de Harvard, qui soutient pourtant l’hypothèse de l’auto-domestication chez les humains. Selon lui, il est en effet possible que d’autres aspects, tels que leur gros cerveau, expliquent mieux le comportement social des éléphants que le processus d’auto-domestication.

Malgré tout, c’est une idée qui mérite d’être explorée selon le chercheur. S’il s’avère que les éléphants sont effectivement devenus auto-domestiqués, il s’agirait alors probablement d’un exemple d’évolution convergente, un processus évolutif dans lequel des organismes qui ne sont pas étroitement liés développent des caractéristiques semblables en réponse à des pressions de sélection environnementale similaires.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.