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Un infime changement dans notre cerveau aurait scellé le destin… des Néandertaliens !

Depuis des décennies, les scientifiques tentent de comprendre pourquoi Homo sapiens a survécu et prospéré, tandis que ses cousins disparus, les Néandertaliens et les Dénisoviens, ont été relégués aux marges de l’histoire. Une nouvelle étude apporte un éclairage fascinant : et si l’avantage décisif s’était joué à l’échelle microscopique, dans la chimie du cerveau ? C’est ce que suggère une équipe de chercheurs qui a identifié une mutation minuscule, mais potentiellement déterminante, dans une enzyme clé du métabolisme cérébral humain. Cette modification, propre à notre espèce, pourrait avoir affûté notre cognition, influencé notre comportement — et, en fin de compte, changé le cours de l’évolution.

Une enzyme sous la loupe : ADSL et son rôle fondamental

L’adénylosuccinate lyase (ADSL) est une enzyme méconnue du grand public, mais cruciale pour le fonctionnement cellulaire. Elle participe à la synthèse des purines, composants essentiels de l’ADN, de l’ARN et d’autres molécules vitales au métabolisme. Chez l’Homo sapiens moderne, cette enzyme diffère légèrement de celle retrouvée chez les Néandertaliens et Dénisoviens. Une seule substitution d’acide aminé distingue les deux versions : à la position 429, une valine remplace une alanine.

À première vue, ce changement semble anodin. Pourtant, il altère subtilement la stabilité de l’enzyme. Jusqu’à récemment, on ignorait si cette différence avait un impact réel sur le fonctionnement cérébral ou le comportement. C’est ce qu’une équipe conjointe de l’Institut des sciences et technologies d’Okinawa (Japon) et de l’Institut Max Planck (Allemagne) a cherché à comprendre, à travers une série d’expériences génétiques poussées.

Une modification qui change tout… chez la souris

Les chercheurs ont introduit la version moderne du gène ADSL chez des souris de laboratoire. Résultat : l’activité de l’enzyme était légèrement réduite, entraînant une accumulation de certaines molécules dans le cerveau. Ces altérations biochimiques rappellent celles observées chez des humains atteints de déficiences sévères en ADSL, souvent associées à des troubles cognitifs.

Mais l’expérience ne s’est pas arrêtée là. En soumettant les souris à un test comportemental impliquant un stimulus et une récompense en eau, les scientifiques ont observé un phénomène troublant : les femelles porteuses de la version moderne du gène étaient plus rapides et efficaces pour obtenir de l’eau. Cela pourrait refléter une meilleure prise de décision ou une réactivité plus affûtée, notamment dans des situations de compétition pour les ressources.

Pourquoi seuls les individus femelles semblent bénéficier de cet avantage reste une énigme. Mais ces résultats laissent entrevoir un lien potentiel entre la biochimie neuronale et l’émergence de comportements adaptatifs.

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Deux mutations, une même direction : l’évolution vers l’optimisation

Ce qui rend cette découverte encore plus intrigante, c’est qu’une seconde mutation a été identifiée dans le même gène ADSL, cette fois dans une région non codante de l’ADN. Contrairement à ce qu’on pourrait attendre, cette mutation n’a pas restauré l’activité réduite de l’enzyme. Au contraire, elle l’a diminuée davantage — notamment dans le cerveau.

Cette double réduction d’activité semble avoir été favorisée par la sélection naturelle. Cela suggère qu’une baisse modérée de l’activité ADSL offrait un avantage évolutif : assez légère pour ne pas provoquer de déficience, mais suffisante pour altérer favorablement certaines fonctions cérébrales.

Une mutation propre à Homo sapiens

Les chercheurs ont également analysé les génomes d’anciens hominidés. Verdict : ni les Néandertaliens, ni les Dénisoviens ne possédaient ces deux mutations. Elles seraient donc apparues après la séparation évolutive entre Homo sapiens et les autres espèces humaines, mais avant la migration des humains modernes hors d’Afrique.

Cela signifie que cette modification génétique a pu jouer un rôle dès les premières étapes de l’expansion d’Homo sapiens à travers le monde, peut-être en favorisant des comportements plus souples, des stratégies de survie plus efficaces ou une meilleure coopération sociale.

Un avantage cognitif dans un monde compétitif ?

Il serait prématuré d’affirmer que cette enzyme à elle seule explique la réussite de notre espèce. Le comportement humain est multifactoriel, influencé par la génétique, l’environnement, la culture et bien plus encore. Toutefois, cette étude ouvre une piste fascinante : des changements apparemment mineurs dans notre métabolisme cérébral auraient pu générer des effets disproportionnés sur notre comportement — et peut-être sur notre destin évolutif.

Comme le souligne le professeur Svante Pääbo, pionnier de la paléogénétique : « Nous commençons seulement à comprendre comment certains changements métaboliques ont pu façonner le cerveau humain moderne. »

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.