Parmi les nombreuses énigmes scientifiques passionnantes qui restent à résoudre, il en est une qui perdure malgré nos connaissances toujours plus poussées sur le génome humain : à quel point nous définit-il et la prédisposition pour le génie est-elle inscrite dans nos gènes ? Par exemple, notre sens du rythme et la musicalité s’expriment-ils plus favorablement grâce à la génétique ? Pour apporter quelques éclaircissements sur cette question, des chercheurs se sont penchés sur le cas de Ludwig van Beethoven. Des analyses génomiques réalisées à partir de ses cheveux avaient déjà dévoilé une certaine prédisposition pour les maladies rénales et l’hépatite B chez ce compositeur allemand. Récemment, une étude internationale visait cette fois à déterminer à quel point le talent musical de l’auteur de neuf symphonies légendaires était imputable à la génétique.
À la recherche du talent dans l’ADN de Ludwig van Beethoven
Lors de la première analyse génomique de l’ADN du compositeur, seules les prédispositions génétiques médicales avaient été prises en compte. En effet, à cette époque, il n’existait encore aucune étude d’association pangénomique (une analyse qui prend en compte les variations génétiques chez de nombreux individus afin d’étudier leurs corrélations avec des traits phénotypiques et maladies) pour le talent musical. Depuis, une étude de cohorte auprès de 606 825 individus a permis d’identifier les locus (la position fixe d’un gène ou d’un marqueur génétique sur un chromosome) de 69 gènes associés avec la capacité à se synchroniser parfaitement avec le rythme, le tout évalué avec la question : pouvez-vous taper dans vos mains en rythme avec la musique ?
Une autre étude en lien avec celle-ci avait démontré que le score polygénique (aussi appelé score de risque polygénique, une valeur numérique qui prédit la probabilité qu’un individu développe une caractéristique ou maladie en fonction de son profil génétique) avait un effet sur plusieurs talents et traits en lien avec la musique. Pour les travaux portant sur Beethoven, les chercheurs ont donc au préalable estimé le score polygénique de Beethoven avant de le comparer avec ceux de milliers d’individus des temps modernes.
Un score étonnamment peu reluisant pour ce grand génie
Comme l’explique Tara Henechowicz, une candidate au doctorat en neurosciences de l’Université de l’Ontario et étudiante de passage à l’Université de Vanderbilt où elle cosigne cette étude : « curieusement, Beethoven, l’un des musiciens les plus célèbres de l’histoire, avait un score polygénique plutôt ordinaire en musicalité générale en comparaison d’échantillons de population de l’institut Karolinska en Suède ou de la biobanque de l’Université de Vanderbilt. »
Avec un score relativement en dessous par rapport à ces deux populations de référence, il se place finalement seulement au neuvième percentile pour la cohorte suédoise et à la onzième pour celle de l’université américaine comme le montre le schéma ci-dessous. Pour dire les choses plus clairement et simplement, être au neuvième percentile signifie que seuls 9 % des gens étaient inférieurs à lui et 91 % le dépassaient en ce qui concerne la prédisposition génétique pour le talent musical.

Le lien entre génie et génétique : à prendre avec des pincettes
Dans leurs conclusions, les chercheurs insistent sur le fait que les résultats n’ont rien de bien étonnant. « Notre but était d’utiliser cela comme un exemple des défis liés au fait de faire des prédictions pour un individu qui a vécu il y a plus de deux cents ans. Le décalage entre les prédictions basées sur l’ADN et le génie musical de Beethoven nous offre un enseignement précieux, car cela démontre que les tests d’ADN ne peuvent pas nous fournir une réponse décisive pour savoir si un enfant aura un talent pour la musique », affirme la chercheuse. Simon Fisher, un professeur de langue et génétique à l’Institut de recherche Max Planck (Allemagne) insiste « vous devriez vous montrer sceptiques si quelqu’un affirme pouvoir utiliser un test génétique pour déterminer avec fiabilité si votre enfant sera doué pour la musique ou particulièrement talentueux dans tout autre domaine. »
En bref, ces recherches nous renseignent ainsi sur les limites des scores polygéniques et de leurs utilisations pour faire des prédictions à l’échelle individuelle. S’ils ont certes permis d’établir que Beethoven avait certaines prédispositions pour les maladies rénales qui auraient, s’il en avait eu connaissance, pu lui permettre d’adapter son mode de vie pour préserver sa santé, de telles analyses ne permettent pas de tirer des conclusions pour des tendances liées parfois non seulement à une période et à un lieu particuliers, mais aussi à différents facteurs, parfois nombreux, qui brouillent les pistes. Des facteurs et influences environnementales dans la société occidentale inexistantes à l’époque de ce virtuose pourraient avoir notamment joué un rôle ici.
Et si des études antérieures avaient estimé qu’environ 42 % de notre musicalité est héritée de nos parents par le biais des gènes, le débat entre hérédité et milieu, mais aussi entre l’inné et l’acquis reste pour l’heure loin d’être clos.
Cette recherche, publiée le 25 mars, est à consulter dans la revue Current Biology.
