Retirer ces 50 objets de l’orbite réduirait de moitié le risque d’un scénario catastrophe à la « Gravity »

Chaque jour, des milliers d’objets inertes tournent au-dessus de nos têtes, vestiges de soixante ans d’exploration spatiale. Mais parmi cette nuée silencieuse, une poignée de débris concentrent à eux seuls la majeure partie du risque. Selon une nouvelle étude présentée au Congrès international d’astronautique de Sydney, éliminer seulement 50 de ces reliques pourrait réduire de moitié la menace d’un scénario catastrophe : celui où les collisions en chaîne rendent certaines orbites inutilisables pendant des siècles.

Des reliques du passé, mais une menace bien actuelle

L’analyse, menée par l’ingénieur américain Darren McKnight et son équipe de la société LeoLabs, dresse une liste des 50 débris spatiaux les plus dangereux en orbite terrestre basse. Le résultat est sans appel : la majorité de ces objets ne sont pas récents, mais datent de l’époque où l’on ne se souciait guère de l’avenir de l’espace.

Pas moins de 76 % de ces débris ont été laissés avant l’an 2000, et 88 % sont des corps de fusées, principalement soviétiques ou russes. À des altitudes comprises entre 700 et 1 000 kilomètres, ces mastodontes métalliques se déplacent à près de 8 kilomètres par seconde, au milieu d’une zone où circulent aujourd’hui des milliers de satellites actifs, dont ceux de constellations comme Starlink.

Le danger est évident : une collision entre l’un de ces objets et un satellite créerait des milliers de fragments supplémentaires. Ce phénomène, connu sous le nom de syndrome de Kessler, pourrait rendre certaines orbites impraticables pendant des générations. L’étude souligne que le risque ne provient pas du simple nombre de débris, mais de leur taille et de leur position stratégique : les gros morceaux laissés à haute altitude sont ceux qui, en cas d’impact, engendreraient le plus de dégâts.

La Russie et la Chine en tête du classement

Le classement établi par McKnight montre une nette domination de la Russie et de son héritage soviétique : 34 des 50 objets les plus dangereux sont d’origine russe. Viennent ensuite la Chine avec 10 débris, les États-Unis avec 3, l’Europe avec 2 et le Japon avec 1.

Le haut du tableau est particulièrement révélateur. On y trouve plusieurs fusées russes SL-16 et SL-8, qui occupent à elles seules 30 des 50 premières places. Le deuxième objet le plus risqué est le satellite européen Envisat, lancé en 2002 par l’Agence spatiale européenne et hors service depuis 2012. Avec ses huit tonnes et son orbite stable, il est considéré comme une véritable bombe à retardement.

Mais le problème n’est pas seulement historique. La Chine, en particulier, inquiète les spécialistes par ses pratiques actuelles. Depuis janvier 2024, 26 nouveaux corps de fusées ont été abandonnés sur des orbites qui resteront stables plus de 25 ans. La plupart proviennent de lanceurs chinois ayant mis en orbite les satellites des constellations Guowang et Thousand Sails. Malgré les recommandations internationales, Pékin continue de laisser ses étages supérieurs dériver, multipliant le risque de collisions futures.

débris spatiaux
Crédit : Astroscale
Un étage supérieur japonais H-IIA photographié par la sonde ADRAS-J d’Astroscale l’année dernière.

Un risque évitable, mais une volonté politique incertaine

Les directives internationales fixent un principe simple : tout débris laissé en orbite basse doit retomber dans l’atmosphère dans un délai maximum de 25 ans. L’Europe et les États-Unis s’y conforment de plus en plus strictement. SpaceX, par exemple, désorbite systématiquement les étages supérieurs de ses fusées Falcon 9 après chaque mission, afin d’éviter qu’ils ne deviennent à leur tour des projectiles orbitaux.

La Chine, en revanche, semble ignorer ces règles dans la majorité de ses lancements. Selon McKnight, si la tendance se poursuit au rythme actuel, le pays pourrait laisser plus de 100 corps de fusées à la dérive dans les 25 prochaines années. Certaines technologies chinoises, comme la fusée Longue Marche 5 et son étage supérieur YZ-2, permettent pourtant déjà une désorbitation contrôlée. Mais la plupart des autres modèles continuent de relâcher leurs étages usagés dans l’espace, faute d’adapter leurs missions ou de sacrifier une partie de leur capacité de charge utile pour le carburant nécessaire à une rentrée atmosphérique.

Cette accumulation progressive transforme l’orbite terrestre basse en un champ de mines. Plus inquiétant encore, les mégaconstellations prévues par la Chine comptent des milliers de satellites supplémentaires. Leur multiplication accroît mécaniquement le risque de collisions avec les débris existants.

Nettoyer l’espace : une mission coûteuse mais indispensable

La bonne nouvelle, selon McKnight, c’est que le risque global pourrait être considérablement réduit par des actions ciblées. Retirer les dix débris les plus dangereux permettrait déjà de diminuer le potentiel de création de nouveaux fragments de 30 %, et en éliminer 50 le réduirait de 50 %.

Ce constat plaide pour le développement de programmes de nettoyage actif de l’espace. Plusieurs projets sont à l’étude, notamment ceux de l’entreprise japonaise Astroscale, qui a déjà démontré sa capacité à s’amarrer à un objet inerte en orbite. L’objectif : capturer des débris, les désorbiter et les faire brûler dans l’atmosphère.

Mais ces initiatives restent rares et coûteuses, faute de modèle économique clair. Nettoyer l’espace ne rapporte rien, alors que le laisser se polluer permet de continuer à lancer à moindre coût. Pourtant, les conséquences d’une inaction pourraient être désastreuses pour l’ensemble des acteurs spatiaux.

McKnight et ses coauteurs concluent sur un avertissement limpide : « Nous pouvons réduire de moitié le risque en retirant 50 objets. Mais nous venons d’en ajouter 26 en deux ans. » Autrement dit, la course contre la montre est engagée. Et si rien ne change, le ciel qui nous protège aujourd’hui pourrait bien devenir, demain, notre premier champ de bataille technologique.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.