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Crédits : hektor2/istock

Quand le cerveau transforme les visages en monstres : découvrez ce trouble rare et méconnu

Imaginez regarder un visage humain, familier ou inconnu, et le voir se transformer lentement sous vos yeux : traits fondus, couleurs anormales, oreilles pointues, peau couverte d’écailles. Ce n’est pas le scénario d’un film d’horreur, mais la réalité troublante de certaines personnes atteintes d’un trouble neurologique rare et méconnu : la prosopométamorphopsie.

À cause de son nom à rallonge, on la désigne souvent par son acronyme : PMO. Elle ne relève pas de la psychiatrie, mais bien de la neurologie, et bouleverse de manière spectaculaire la perception des visages humains. Ceux-ci peuvent apparaître distordus, monstrueux, ou fondre d’un côté, sans que la vision du reste du monde ne soit altérée. Les objets, les paysages, même les corps, restent normaux. Seuls les visages deviennent méconnaissables — et souvent terrifiants.

Un trouble rare mais bien réel

Jusqu’à récemment, seuls quelques dizaines de cas de PMO avaient été documentés dans la littérature médicale. Le trouble est si rare qu’il est souvent mal diagnostiqué, voire confondu avec des maladies mentales comme la schizophrénie ou des hallucinations liées à d’autres troubles psychiatriques.

L’un des cas les plus détaillés est celui d’un patient surnommé AD, dont le cerveau avait été endommagé au niveau du splénium, une petite structure située à l’arrière du corps calleux, région impliquée dans le traitement de l’information visuelle. AD voyait tous les visages humains comme asymétriques, comme si un côté fondait ou se déformait indépendamment de l’autre. En revanche, il reconnaissait parfaitement les objets inanimés ou les paysages. Ce sous-type du trouble porte un nom : hémi-prosopométamorphopsie, car il affecte uniquement une moitié du visage perçu.

Le cerveau, artiste de la déformation

Mais comment un cerveau humain en vient-il à transformer les visages qu’il perçoit ? Les neuroscientifiques avancent l’idée que notre cerveau fonctionne un peu comme un logiciel de reconnaissance faciale. Lorsqu’on voit un visage, notre cerveau compare cette image à une gigantesque bibliothèque interne de visages déjà vus, pour construire une image cohérente. Si cette comparaison est perturbée — par une lésion, une inflammation ou un trouble du traitement visuel —, le cerveau peut produire une image inexacte, voire complètement fantasmée.

C’est ce qui expliquerait pourquoi certains patients décrivent des visages qui se métamorphosent lentement en créatures fantastiques. L’un d’eux, décrit par le neurologue et écrivain Oliver Sacks, racontait comment les visages observés assez longtemps prenaient l’apparence de dragons. Peau violette, écailles, yeux allongés : le cerveau réinvente la figure humaine en s’appuyant sur des éléments symboliques, visuels ou émotionnels encore mal compris.

Le syndrome du visage démoniaque

Ce phénomène est parfois appelé “syndrome du visage démoniaque”, tant les transformations sont saisissantes et effrayantes. Une étude de 2024 a permis, pour la première fois, de visualiser graphiquement ce que voient les personnes atteintes de PMO. Les images obtenues sont aussi fascinantes que dérangeantes : visages tordus, grimaces impossibles, hybridations de plusieurs visages humains.

La PMO n’est pas seulement un mystère médical : elle est aussi un puissant révélateur de ce que notre cerveau fait en permanence, sans que nous nous en rendions compte. Voir un visage n’est pas un acte neutre : c’est une construction mentale complexe, qui peut se détraquer pour des raisons parfois invisibles à l’œil nu.

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Exemples de la façon dont les visages peuvent apparaître déformés aux yeux des personnes atteintes de prosopométamorphopsie. Crédit image : A. Mello et al.

L’importance du bon diagnostic

Les conséquences de la PMO peuvent être profondes. L’expérience de voir les visages se transformer en monstres peut affecter lourdement la vie sociale, l’état psychologique et l’anxiété des patients. Or, le diagnostic est souvent manqué, faute de connaissance du trouble. Cela conduit à des erreurs d’orientation médicale : des patients envoyés en psychiatrie alors qu’ils relèvent de la neurologie.

Mieux comprendre la PMO, c’est aussi progresser dans la compréhension fine des circuits cérébraux qui façonnent notre perception du monde social. Car les visages sont bien plus que des images : ils sont le cœur de notre lien aux autres. Quand le cerveau dérègle cette fonction, c’est toute la réalité humaine qui se fissure.


Souvent rangée parmi les bizarreries médicales, la prosopométamorphopsie pourrait bien, à l’avenir, nous en dire long sur les mécanismes profonds de la conscience visuelle et de l’identité. Derrière le cauchemar visuel, un mystère scientifique reste entier.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.