Grâce aux progrès des technologies utilisées pour extraire et analyser l’ADN ancien, nous en apprenons davantage sur les micro-organismes qui vivaient autour et au sein de nos lointains ancêtres humains et cousins hominidés. Dans le cadre d’une étude publiée récemment dans la revue Science, une équipe annonce ainsi avoir identifié d’étranges bactéries piégées dans les dents de Neandertal susceptibles de mener au développement de nouveaux antibiotiques.
Le microbiome buccal
Le microbiome buccal est un écosystème complexe composé de milliers d’espèces différentes de micro-organismes. Il est également influencé par de nombreux facteurs, notamment l’alimentation, les médicaments, le tabagisme, l’âge et la santé générale de l’individu. Ces micro-organismes vivent en symbiose avec l’organisme humain, contribuant notamment à la digestion et à la protection contre les infections. Des perturbations peuvent alors avoir des conséquences négatives sur la santé bucco-dentaire, mais aussi sur la santé générale de l’individu.
Appuyés par les dernières avancées technologiques, de plus en plus de chercheurs s’intéressent aux communautés microbiennes passées. Certains se concentrent sur le microbiome intestinal, quand d’autres se focalisent sur celui de la bouche. C’est notamment le cas de Christina Warinner, archéologue biomoléculaire à l’Université de Harvard. Au cours de ces dernières années, la chercheuse a notamment développé de nouvelles techniques de paléogénomique permettant l’analyse de la plaque dentaire humaine préhistorique, qui s’est finalement durcie en tartre.
« Le tartre dentaire est la seule partie de votre corps qui se fossilise régulièrement pendant que vous êtes encore en vie« , souligne l’archéologue. « Il possède également la plus forte concentration d’ADN de toutes les parties d’un squelette ancien« . Avec seulement quelques milligrammes de tartre dentaire, la chercheuse et son équipe peuvent ainsi isoler des milliards de courts fragments d’ADN d’espèces anciennes pour ensuite les reconstituer. Ces travaux permettent surtout d’identifier à quelles espèces connues appartiennent ces échantillons, mais il arrive aussi parfois que ces fragments proviennent de microbes disparus, ce qui nous ramène à cette étude.

Une classe de métabolites
Dans le cadre de ces travaux, les chercheurs ont analysé le tartre dentaire de douze Hommes de Neandertal et de 52 humains anatomiquement modernes ayant vécu au cours de ces 100 000 dernières années en Europe et en Afrique. L’équipe a séquencé plus de 10 milliards de fragments d’ADN pour finalement identifier 459 génomes bactériens, dont environ 75 % étaient déjà connus.
Les chercheurs se sont concentrés sur deux espèces d’un genre de bactéries appelé Chlorobium trouvé chez sept néandertaliens. Ces deux espèces seraient inconnues, mais proches de C. limicola, un micro-organisme retrouvé dans les sources d’eau associées aux environnements de grottes. Il est donc probable que ces personnes aient « adopté » ces bactéries en buvant l’eau de leur grotte.
L’équipe a ensuite analysé ce qu’on appelle les grappes de gènes biosynthétiques (BGC), des ensembles de gènes qui codent pour des enzymes impliquées dans la production de métabolites spécialisés. Ces grappes sont souvent présentes dans des organismes tels que les bactéries, les champignons et les plantes, et sont responsables de la production de nombreuses molécules importantes pour la défense de l’organisme ainsi que pour sa survie. Ici, le but était de déterminer quelles enzymes ces deux espèces du genre Chlorobium étaient capables de produire.
Au final, les chercheurs ont identifié un groupe de gènes biosynthétiques partagé par les sept individus de Neandertal permettant la production d’une classe de métabolites jusque-là inconnus, désormais nommés « paléofuranes ». Cette nouvelle approche démontre ainsi qu’une machinerie biosynthétique viable peut être produite à partir du matériel génétique préservé d’organismes anciens. En outre, les chercheurs soulignent que les métabolites, qui sont principalement des enzymes, pourraient potentiellement mener au développement de nouveaux médicaments antibiotiques.
