À première vue, la question peut sembler saugrenue. Peut-on vraiment dire que les élèves nés en décembre partent avec un handicap scolaire par rapport à ceux nés en janvier ? Et pourtant, la recherche internationale montre qu’un simple écart de quelques mois à l’entrée à l’école peut avoir des conséquences durables sur les résultats scolaires, la confiance en soi, le risque de redoublement… voire sur la trajectoire de vie.
Bienvenue dans le fascinant — et souvent méconnu — monde des effets de l’âge relatif à l’entrée à l’école.
Un écart d’âge… pour une même classe
En France comme dans de nombreux pays, les enfants nés la même année civile entrent en CP au même moment, généralement l’année de leurs six ans. Mais cela crée une différence d’âge pouvant atteindre 11 mois entre les élèves d’une même classe : un enfant né le 1er janvier aura presque un an de plus qu’un camarade né le 31 décembre.
Or, à 5 ou 6 ans, ces quelques mois représentent une part importante du développement cognitif et émotionnel. Et c’est précisément ce décalage de maturité qui est au cœur de l’effet observé par les chercheurs : les élèves les plus jeunes de leur cohorte scolaire réussissent en moyenne moins bien que leurs aînés.
Un impact mesurable dès 15 ans
Des données issues du programme PISA (évaluation internationale des acquis des élèves de 15 ans) montrent qu’en moyenne, être plus jeune d’un an à l’entrée à l’école fait perdre environ 20 points dans les tests de mathématiques, de sciences et de lecture. Un écart qui correspond à peu près à une année entière d’apprentissage.
Ces résultats sont observés dans une quinzaine de pays, y compris en France. L’effet varie selon les contextes : en Italie, il atteint près de 30 points en mathématiques, contre environ 10 points en Finlande ou aux Pays-Bas. En France, l’écart moyen est de 14 à 18 points, selon la matière.
Mais ce n’est que le sommet de l’iceberg.

Champ : Élèves âgés de 15 ans. Source : OCDE, PISA 2015, 2018 et 2022
Redoublement, harcèlement, perte de confiance : une spirale à risque
Le fait d’être plus jeune à l’entrée à l’école ne se limite pas à des écarts de performance. Il est également associé à un risque accru de redoublement, surtout dans les pays où cette pratique est fréquente. En France, les élèves les plus jeunes redoublent environ deux fois plus souvent que les plus âgés de leur classe. Et le redoublement, loin d’être toujours bénéfique, peut affecter la motivation et la confiance en soi à long terme.
Autre conséquence préoccupante : les élèves les plus jeunes déclarent davantage être victimes de harcèlement, et avoir le sentiment d’être traités de manière injuste par les enseignants. Ils sont aussi plus nombreux à se sentir en difficulté émotionnelle, à manquer d’assurance, ou à douter de leurs capacités scolaires.
Autrement dit, ces élèves peuvent intérioriser un sentiment d’infériorité, simplement parce qu’ils sont nés plus tard dans l’année.


Des effets qui dépassent l’école
Ces différences ne se résorbent pas toujours en grandissant. Des chercheurs ont observé que les personnes nées en début d’année sont surreprésentées dans les équipes sportives professionnelles, dans les assemblées politiques ou encore à la tête des grandes entreprises. Il s’agirait d’un effet cumulatif : un bon départ scolaire favorise l’estime de soi, alimente la réussite, et ouvre des opportunités qui s’auto-renforcent au fil du temps.
Inversement, être considéré « en difficulté » dès les premières années peut enclencher une spirale négative, même si l’élève a un potentiel identique à ses camarades plus âgés.
Tous les systèmes scolaires ne réagissent pas de la même façon
La bonne nouvelle, c’est que cet effet de l’âge relatif n’est pas une fatalité. Certains systèmes éducatifs, comme en Allemagne ou dans certains pays anglo-saxons, permettent de différer l’entrée à l’école pour les enfants les plus jeunes s’ils ne sont pas jugés prêts. À l’inverse, l’Italie autorise certains enfants à entrer plus tôt, s’ils sont parmi les plus âgés de leur cohorte.
Des recherches plus locales ont aussi montré que certaines pratiques — journées d’école trop longues, classes surchargées, ou étiquetage précoce (notamment pour l’hyperactivité) — peuvent amplifier les difficultés des plus jeunes élèves.
Comment atténuer ces écarts ?
Plusieurs pistes sont évoquées par les chercheurs :
Sensibiliser les enseignants à l’effet de l’âge relatif, pour éviter des jugements de performance biaisés.
Adapter les rythmes scolaires en fonction de la maturité, surtout en maternelle et au début du primaire.
Offrir des soutiens ciblés aux élèves les plus jeunes, sans attendre un éventuel redoublement.
Et pourquoi pas, à plus long terme, repenser les critères d’entrée à l’école ?
Un facteur invisible… mais crucial
Au final, ce que révèle cette littérature scientifique, c’est à quel point notre date de naissance, si banale en apparence, peut influencer — parfois silencieusement — notre parcours éducatif et personnel. Bien sûr, chaque trajectoire est unique : beaucoup d’enfants nés en fin d’année réussissent brillamment, tout comme certains aînés de leur classe peuvent rencontrer des difficultés.
Mais en moyenne, l’effet existe, il est mesurable, et il pose une vraie question : notre système éducatif est-il suffisamment outillé pour prendre en compte les écarts de maturité à l’entrée à l’école ?
