Depuis plus de sept décennies, le Mémorial de la Shoah Yad Vashem à Jérusalem s’efforce d’identifier chaque victime juive de l’Holocauste. Aujourd’hui, cette quête de mémoire franchit un cap historique : cinq millions de noms ont été retrouvés. Et désormais, l’intelligence artificielle vient prêter main-forte à ce travail titanesque pour redonner une identité à ceux que les nazis avaient voulu effacer.
Une mémoire en reconstruction, nom par nom
Sur les plus de six millions de Juifs assassinés pendant la Seconde Guerre mondiale, Yad Vashem a déjà réussi à en identifier environ cinq millions. Ce résultat monumental est le fruit de décennies de recherche, d’archives et de témoignages collectés à travers le monde. Mais environ un million de victimes demeurent encore sans nom, perdues dans l’immensité des documents détruits, dispersés ou incomplets, rappelle Reuters.
Pour Dani Dayan, président de Yad Vashem, cette avancée n’est pas seulement un progrès statistique, mais un devoir moral : chaque nom retrouvé est une vie rendue à la mémoire collective. « Derrière chaque nom se cache une vie qui comptait : un enfant, un parent, une voix réduite au silence », rappelle-t-il. Le projet incarne ainsi une lutte contre l’oubli, mais aussi contre la volonté nazie d’effacer toute trace de l’existence de ces millions de personnes.
L’intelligence artificielle au service de la mémoire
Pour surmonter les limites du travail humain, Yad Vashem s’appuie désormais sur l’intelligence artificielle. En mai 2024, le mémorial a dévoilé son propre logiciel d’IA capable d’analyser des centaines de millions de documents historiques. Ces technologies de reconnaissance et d’apprentissage automatique parcourent des archives manuscrites, des registres administratifs, des enregistrements vidéo, ou encore des photographies anciennes.
Grâce à ces outils, les chercheurs estiment pouvoir identifier environ 250 000 nouvelles victimes. L’IA permet de repérer des corrélations invisibles à l’œil humain : des noms partiels recoupés avec d’autres listes, des similarités de dates ou de lieux, des correspondances entre documents jusqu’alors isolés. Ce traitement automatisé offre une capacité d’analyse inédite pour reconstituer des fragments de vies que l’histoire avait effacés.

Une base de données mondiale pour honorer les disparus
Les noms retrouvés sont intégrés à la base de données en ligne de Yad Vashem, accessible en six langues. Cette plateforme, l’une des plus vastes archives numériques de la mémoire humaine, permet à des familles du monde entier de retrouver la trace de proches disparus. Dans de nombreux cas, elle représente la seule sépulture symbolique pour des victimes dont le corps n’a jamais été retrouvé.
Pour Alexander Avram, directeur du Hall des Noms, cette démarche est autant scientifique qu’humaniste : « En identifiant ces millions de personnes, nous leur redonnons leur identité humaine et nous assurons que leur mémoire perdure. » L’IA devient ainsi un instrument inattendu de résilience et de justice historique, prolongeant le travail de mémoire à l’ère du numérique.
Redonner une voix à ceux que l’Histoire a voulu faire taire
Alors que les derniers survivants de la Shoah disparaissent, cette alliance entre technologie et histoire apparaît cruciale. Elle permet de préserver les traces, de reconstruire les filiations et d’éduquer les générations futures. Ce projet, à la croisée de la science des données et de la mémoire collective, montre que l’intelligence artificielle ne sert pas seulement à prédire ou optimiser : elle peut aussi réparer — symboliquement — ce que la barbarie a détruit.
