Must Farm, il y a 2 850 ans. Les flammes gagnent ce modeste village construit seulement neuf mois plus tôt et perché au-dessus d’une rivière marécageuse située dans ce qui est aujourd’hui dans le comté du Cambridgeshire, en Angleterre. L’incendie se propage et s’intensifie rapidement à la faveur de maisons construites très proches les unes des autres et de surcroît dans des matériaux tels que le bois, l’argile, la paille ou encore la tourbe. Ses habitants s’enfuient, laissant derrière eux toutes leurs précieuses possessions et leur bétail, des agneaux qui finissent brûlés vifs.
L’histoire de cette petite localité fermière aurait pu s’arrêter là. Toutefois, des chercheurs de l’Université de Cambridge sont tombés dessus en 1999 et y ont depuis retrouvé une myriade d’objets extraordinaires et bien préservés qui témoignent des habitudes et de la vie quotidienne des âmes qui l’ont habité. Ces lieux, à présent considérés comme le Pompéi britannique, constituent ainsi une véritable capsule temporelle pour partir à la découverte de l’Âge du bronze britannique. Le 20 mars, les archéologues ont livré leurs découvertes que vous pouvez consulter ici.
Must Farm, le Pompéi britannique

Ce village peut à bien des égards faire figure de « nirvana archéologique ». Comme l’explique Chris Wakefield, un archéologue de l’Université de Cambridge qui a fait partie de 55 personnes ayant pu excaver le site en 2016 : « Dans un site de l’âge de bronze typique, si vous avez une maison, vous avez peut-être une douzaine de trous laissés par des poteaux de bois dans le sol et il s’agit juste d’ombres sombres là où cela se tenait. Si vous êtes vraiment chanceux, vous aurez deux ou trois éclats de poterie et peut-être une fosse avec un tas d’os d’animaux. Ici, c’était l’inverse complet. C’était juste incroyable. » Le chercheur ajoute que toutes les traces de la hache utilisée pour façonner et sculpter le bois « avaient l’air fraîches, comme si elles avaient pu être faites la semaine dernière par quelqu’un. »
L’état de préservation remarquable du site et de ce qu’il contenait a ainsi permis de mieux comprendre la vie domestique il y a 3 000 ans, au point même de possiblement remettre en question notre compréhension actuelle de la vie à l’époque. Dans ce village, daté de 800 ans avant l’arrivée des Romains sur ces terres, ont en effet révélé quatre rotondes et une structure carrée à l’entrée qui se tenait sur pilotis, environ deux mètres au-dessus du lit de la rivière, le tout entouré par des piquets aiguisés très hauts en guise de clôture.
Les experts pensent toutefois que le site était sûrement deux fois plus grand à son époque, le reste ayant été détruit par une exploitation de carrières au cours du 20e siècle. Avec près de 50 m² dans la maison la plus large, chacun des quatre espaces qui restent avait sa propre fonction, un peu comme avec nos pièces modernes.
Des objets impeccablement intacts malgré le feu

Grâce aux conditions anaérobies sur le site (pauvres en oxygène), les objets ont pu rester bien préservés. Les archéologues y ont relevé des objets en bois en saule, en aulne et en érable parmi lesquels se trouvaient de nombreux outils, une quarantaine de bobines avec le fil parfois encore accroché et une quinzaine de seaux. « Au fond de l’un de ces seaux, il y avait énormément de traces de coupures. Nous savons donc que les personnes qui vivaient dans cette cuisine de l’âge du bronze, quand elles avaient besoin d’une planche à découper improvisée, retournaient simplement le seau et l’utilisaient comme une surface de coupe. », précise le chercheur.
Parmi tous ces items se trouvent en outre 128 jarres, bols, coupes et autres ustensiles de cuisine en céramique. L’un des récipients contenait quant à lui toujours son dernier repas : un porridge au blé mélangé avec de la graisse animale. Par ailleurs, l’analyse chimique des autres contenants a montré des traces de miel et de cerf, suggérant que ces personnes consommaient de la venaison glacée au miel. Les chercheurs ont aussi trouvé des faucilles, des haches et des rasoirs pour couper les cheveux ou le tissu. Des coprolithes (excréments fossilisés) montrent enfin que certains avaient des vers intestinaux et qu’ils possédaient des chiens, nourris avec des restes.
Cette conservation inégalée au Royaume-Uni a même permis de retrouver du textile, une découverte exceptionnelle tant les tissus tendent à vite se décomposer. Et bien qu’il ait été impossible d’identifier précisément à quoi servait le tissu, la toile de lin retrouvée ici était douce comme du velours avec des coutures et des ourlets soignés. Tous les objets n’avaient pas un usage pratique. À tout cela s’ajoutent en effet 49 perles en verre et d’autres en ambre, ainsi que le crâne d’une femme.
Des objets innovants et polyvalents
Des haches multifonctionnelles ainsi que des pots conçus pour s’empiler parfaitement (et ce, bien avant l’invention du tour de potier) dénotent avec cette image classique d’une vie préhistorique primitive, voire barbare. Tous ces outils polyvalents, sophistiqués et modulaires démontrent une volonté d’améliorer le quotidien, de s’organiser et d’utiliser les ressources disponibles avec une ingéniosité avancée.
Chris Wakefield ajoute : « Je pense que les gens ont cette perception selon laquelle tout le monde luttait pour survivre […]. Et regarder à l’intérieur de ces structures montre qu’ils avaient un niveau de technologie très sophistiqué qui faisait tout ce dont ils avaient besoin. » Tous ces artefacts laissent en tout cas entrevoir une vie de famille douillette et ordonnée dans une relative abondance. Cette organisation et la configuration des lieux laissent aussi potentiellement suggérer que ces communautés n’étaient peut-être pas aussi hiérarchisées qu’on le pensait initialement.

Les causes de l’incendie de Must Farm restent un mystère
Grâce à l’examen des restes d’agneaux, l’équipe d’experts a pu déterminer que l’incendie avait eu lieu à la fin de l’été ou au début de l’automne. En effet, les animaux naissent généralement au printemps et avaient ici entre trois et six mois. Au vu des nombreuses preuves trouvées sur place (notamment l’absence de certains insectes et l’utilisation de bois vert, en place depuis peu de temps), tout porte à croire que le village datait de neuf à douze mois seulement.
Toutefois, les scientifiques ne peuvent toujours pas expliquer comment le feu s’est déclaré. Il est possible qu’il s’agisse d’un incendie volontaire (dans le cadre d’une guerre puisqu’elles étaient communes à l’époque) ou d’un simple accident. Reste que la configuration du village, avec ses maisons serrées sur pilotis, a pu créer un effet de cheminée qui aurait favorisé la propagation rapide du feu.
