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Crédits : Cierra Joubert/istock

Les lions de Tsavo : des prédateurs redoutables décryptés par l’ADN

En 1898, deux lions sans crinière ont terrorisé un camp de travailleurs au Kenya pendant plusieurs mois, tuant au moins 28 personnes. Tristement célèbres sous le nom de mangeurs d’hommes de Tsavo, ces deux lions ont longtemps intrigué les scientifiques. En effet, pourquoi s’attaquer à des humains ? Plus d’un siècle après, des techniques d’analyse ADN modernes ont permis de faire la lumière sur ce comportement inhabituel.

Un mystère vieux de plus de cent ans

L’histoire des lions de Tsavo remonte à 1898, lors de la construction d’un pont ferroviaire au-dessus de la rivière Tsavo, dans l’actuel Kenya. À cette époque, des centaines de travailleurs étaient mobilisés pour réaliser cette structure dans le cadre du projet de chemin de fer pour relier l’Ouganda à la côte est-africaine. Cependant, ce chantier fut frappé d’horreur lorsque deux lions mâles commencèrent à terroriser les ouvriers.

Pendant plusieurs mois, ces deux lions attaquaient en effet régulièrement les campements la nuit. Ils arrachaient leurs victimes des tentes pour les dévorer et semaient la panique parmi les travailleurs au point de forcer une interruption temporaire des travaux. Selon des rapports de l’époque, ces lions auraient tué au moins 28 personnes, bien que certaines estimations suggèrent un nombre de victimes bien plus élevé.

Ces lions se distinguaient par ailleurs non seulement par leur comportement prédateur inhabituel, mais aussi par leur apparence. Contrairement à la majorité des lions mâles, ils étaient en effet dépourvus de crinière.

Après plusieurs mois d’efforts pour neutraliser ces prédateurs, le lieutenant-colonel John Henry Patterson, l’ingénieur en chef du projet, parvint finalement à abattre les deux lions. Il conserva leurs peaux et crânes qu’il vendit au Field Museum of Natural History de Chicago en 1925. Depuis, ces restes sont devenus des pièces centrales de la collection du musée.

Néanmoins, les mystères qui entourent ces lions ne s’arrêtèrent pas avec leur mort. Leurs dents étaient gravement endommagées, un détail qui a longtemps intrigué les chercheurs. Ces blessures dentaires, en particulier les canines usées et fracturées, auraient-elles poussé les lions à préférer des proies humaines, plus faciles à chasser que les grands animaux sauvages ? Pour comprendre les raisons de leur comportement meurtrier, les scientifiques ont entrepris de fouiller dans les restes conservés au musée.

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Crédits : Field Museum of Natural History de Chicago

De nouvelles techniques pour explorer le passé

Aujourd’hui, les avancées en génomique et en microscopie permettent aux chercheurs d’analyser les échantillons de manière beaucoup plus détaillée. Dans une nouvelle étude, des chercheurs du Field Museum en collaboration avec l’Université de l’Illinois ont utilisé ces technologies pour approfondir l’analyse des poils extraits des dents des lions.

L’une des premières étapes a été de valider l’authenticité de l’ADN extrait des poils. Alida de Flamingh, chercheuse postdoctorale à l’Université de l’Illinois, a recherché des signes spécifiques de dégradation et confirmé ainsi qu’il s’agissait bien d’ADN ancien. Une fois cette étape franchie, l’équipe s’est concentrée sur l’ADN mitochondrial qui est transmis de mère en enfant et qui se conserve mieux que l’ADN nucléaire.

L’ADN mitochondrial a alors permis d’identifier plusieurs des proies que les lions avaient consommées. Ils révèlent que ces derniers avaient un régime alimentaire varié, comprenant des girafes, des gnous, des oryx, des zèbres et, bien sûr, des humains. Cette découverte a permis de confirmer certaines hypothèses formulées lors des premières analyses, mais elle a également apporté de nouveaux éléments surprenants.

Par exemple, la présence d’ADN de gnou dans les poils est étonnante, car les gnous ne vivaient pas à proximité de Tsavo à l’époque des attaques. Les chercheurs pensent que les lions ont peut-être migré temporairement vers d’autres régions avant de revenir à Tsavo pour reprendre leurs attaques. L’absence de traces d’ADN de buffles est également remarquable. Les lions actuels de Tsavo chassent en effet principalement des buffles, mais à la fin des années 1800, une épidémie de peste bovine avait décimé les populations de buffles et de bétail en Afrique de l’Est, ce qui pourrait expliquer ce manque dans leur régime alimentaire.

Pourquoi attaquaient-ils des humains ?

L’hypothèse principale avancée par les scientifiques pour expliquer pourquoi les lions de Tsavo s’en prenaient aux humains concerne leur état physique. Les dents des deux lions étaient très abîmées, probablement en raison de blessures ou d’infections. Cela aurait ainsi pu rendre la chasse d’animaux plus difficile, incitant alors les lions à s’attaquer à des proies plus faciles comme des humains vulnérables.

De plus, la pénurie de leurs proies habituelles, comme les buffles, a probablement joué un rôle important. Les populations animales étant réduites à cause de l’épidémie, les lions n’auraient pas eu d’autre choix que de se tourner vers des sources de nourriture inhabituelles pour survivre.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.