On les connaît comme les poumons verts de la planète, capables de capter le dioxyde de carbone, de filtrer l’air et d’adoucir nos villes étouffées par la chaleur. Mais les plantes pourraient aussi — involontairement — contribuer à polluer l’atmosphère. Et ce, à cause d’un mécanisme de défense méconnu mais essentiel : la production d’isoprène.
Une nouvelle étude, publiée dans Science Advances, révèle que cette molécule organique, émise par de nombreuses espèces végétales, sert à éloigner certains insectes ravageurs. Le hic ? Une fois relâchée dans l’air, l’isoprène participe à la formation d’un type de pollution très préoccupant : l’ozone troposphérique. Un dilemme inattendu pour les scientifiques, entre protection des cultures… et qualité de l’air.
Un mystère végétal enfin élucidé
Cela fait des décennies que les chercheurs savent que de nombreuses plantes — comme le chêne, le peuplier ou le tabac — émettent naturellement de l’isoprène, un composé organique volatil (COV). Mais pourquoi se donner tant de mal pour produire cette substance ? Sa synthèse demande jusqu’à 2 % du carbone que la plante a capté, ce qui représente un coût énergétique énorme.
La réponse vient d’être apportée après près de 40 ans de recherches : l’isoprène agit comme une forme d’auto-défense contre certains insectes herbivores.
Pour le démontrer, une équipe de l’Université d’État du Michigan a mené une série d’expériences en serre sur des plants de tabac. Certains ont été modifiés génétiquement pour produire de l’isoprène, d’autres non. Puis, tous ont été exposés à un redoutable nuisible : Manduca sexta, une chenille vorace surnommée « sphinx du tabac ».
Le résultat est sans appel : les insectes évitaient les feuilles émettrices d’isoprène, préférant se nourrir des plantes qui n’en produisaient pas. Et même lorsqu’ils s’attaquaient à celles qui en dégageaient, leur croissance était ralentie, signe d’un déséquilibre dans leur digestion.

L’astuce chimique des plantes
Contrairement à un pesticide classique, l’isoprène n’est pas toxique pour l’insecte en lui-même. Il agit en réalité comme un signal déclencheur : lorsqu’il est produit, il stimule la synthèse d’une autre molécule appelée acide jasmonique. Ce dernier modifie les protéines de la plante, les rendant plus difficiles à digérer pour les insectes.
« La défense n’était pas l’isoprène lui-même, mais ce qu’il provoquait à l’intérieur de la plante », explique Tom Sharkey, principal auteur de l’étude. Autrement dit, l’isoprène active un système d’alarme biochimique qui rend la plante moins appétissante, voire indigeste.
Un insecticide naturel… qui pollue
Si cette stratégie de défense végétale semble ingénieuse, elle n’est pas sans conséquences sur notre environnement. L’isoprène, une fois relâché dans l’atmosphère, réagit avec les oxydes d’azote (NOx) présents dans l’air urbain, sous l’action du soleil. Ce cocktail forme alors de l’ozone troposphérique, un gaz toxique pour les voies respiratoires et néfaste pour les écosystèmes.
En fait, l’isoprène est le deuxième hydrocarbure le plus émis sur Terre, derrière le méthane. Et même s’il est d’origine naturelle, il contribue à la dégradation de la qualité de l’air, notamment dans les régions chaudes et densément boisées.
Un dilemme pour l’agriculture et la bio-ingénierie
Avec cette nouvelle compréhension du rôle protecteur de l’isoprène, une question cruciale se pose : doit-on encourager les plantes à en produire pour se défendre, ou au contraire, tenter de limiter ces émissions pour préserver notre atmosphère ?
Tom Sharkey résume bien ce dilemme :
« Faut-il ajouter de l’isoprène aux plantes cultivées pour les protéger des insectes, au prix d’un impact sur la couche d’ozone ? Ou bien modifier génétiquement les cultures pour réduire la production d’isoprène, et ainsi limiter la pollution de l’air ? »
Dans un monde confronté à la fois au changement climatique, à l’effondrement de la biodiversité et à la nécessité d’une agriculture plus productive, le choix ne sera pas simple. Trop d’isoprène, et on sacrifie l’air que l’on respire. Pas assez, et les cultures pourraient devenir vulnérables face aux insectes, au risque de compromettre la sécurité alimentaire.
Quand la nature nous met face à nos contradictions
Cette découverte souligne une vérité fondamentale de l’écologie : la nature n’est ni bonne ni mauvaise, elle est complexe. Ce que nous percevions comme une propriété « vertueuse » des plantes peut avoir un revers insoupçonné.
Cela remet en question certaines idées reçues sur les bienfaits inconditionnels de la verdure et ouvre de nouvelles pistes pour l’agriculture du futur : peut-on concevoir des plantes plus sélectives dans leur production de COV ? Peut-on neutraliser localement les effets de l’isoprène dans l’air ?
Autant de défis que devront relever les bio-ingénieurs de demain. En attendant, une chose est sûre : même les plantes peuvent polluer. Mais toujours avec de bonnes intentions.
