Pendant longtemps, la rationalité a été considérée comme un privilège strictement humain. La capacité à analyser des preuves, réviser ses croyances et adapter ses décisions semblait nous distinguer définitivement du reste du règne animal. Pourtant, des recherches récentes menées sur des chimpanzés par la psychologue Hanna Schleihauf et son équipe à l’Université d’Utrecht montrent que ces singes partagent avec nous des mécanismes fondamentaux de raisonnement. Ces découvertes, rapportées dans la revue Science, bouleversent notre compréhension de l’intelligence animale et suggèrent que certains processus cognitifs sont profondément enracinés dans l’évolution des primates.
Des expériences simples pour tester la rationalité des chimpanzés
Pour comprendre comment les chimpanzés évaluent et révisent des preuves, l’équipe de Schleihauf a conçu cinq expériences au sanctuaire de l’île de Ngamba, en Ouganda. Les singes devaient choisir parmi plusieurs boîtes contenant de la nourriture, en se basant sur des indices variés, allant de preuves directes à des sons subtils.
Les premières expériences montraient déjà que l’ordre et la force des preuves influençaient leurs choix. Si des preuves faibles étaient suivies de preuves plus solides, les chimpanzés modifiaient leur décision, mais ils restaient fidèles à leur choix initial lorsque les preuves les plus fortes étaient présentées en premier. Ces résultats indiquent que les singes pondèrent les informations au lieu de réagir purement par instinct.
Des capacités cognitives qui vont plus loin
Dans les expériences suivantes, le niveau de complexité augmentait : plusieurs boîtes, preuves redondantes ou nouvelles, et indices parfois trompeurs. Les chimpanzés montraient une préférence pour les preuves nouvelles, ce qui suggère qu’ils savent distinguer ce qui apporte réellement de l’information de ce qui répète simplement ce qu’ils connaissent déjà.
La cinquième expérience a testé la capacité des singes à réviser leurs croyances face à des indices trompeurs, comme des images ou des sons simulant la présence de nourriture. Les chimpanzés ont ajusté leur décision en fonction des preuves les plus fiables, montrant qu’ils évaluent activement la crédibilité des informations et ne se contentent pas de suivre aveuglément leurs premières impressions.

Ce que cela révèle sur l’intelligence animale et humaine
Ces résultats mettent en lumière une forme de métacognition rare chez les animaux : la capacité à réfléchir sur ses propres connaissances et à les ajuster face à de nouvelles informations. En d’autres termes, les chimpanzés peuvent non seulement résoudre des problèmes, mais aussi réviser leur jugement en fonction des preuves, un processus proche de la pensée critique humaine.
Cette découverte a des implications profondes sur notre compréhension de l’évolution cognitive. Elle suggère que certains mécanismes de raisonnement sont hérités d’un ancêtre commun des primates, et que la rationalité ne serait donc pas exclusivement humaine. Bien sûr, des traits comme le langage complexe ou la culture avancée restent spécifiques à notre espèce, mais il est fascinant de constater que nos cousins primates partagent des capacités de réflexion essentielles.
