Alzheimer
Présence d'enchevêtrements neurofibrillaires, des amas de protéines tau qui sont l'une des caractéristiques de la maladie d'Alzheimer. Crédit image : Mikael Häggström, MD via Wikimedia Commons

La protéine d’Alzheimer surprend les scientifiques en s’invitant chez les bébés – Qu’est-ce que cela signifie ?

Depuis des décennies, la maladie d’Alzheimer est étroitement associée à deux protéines clés dans le cerveau : la bêta-amyloïde, qui forme des plaques, et la protéine tau, qui, une fois modifiée par phosphorylation, s’agrège en enchevêtrements délétères. Cette forme phosphorylée, dite p-tau, est largement reconnue comme un marqueur de la neurodégénérescence caractéristique d’Alzheimer. Pourtant, une étude récente vient remettre en question cette vision. En effet, des chercheurs ont découvert que les nouveau-nés présentent des niveaux de p-tau dans leur cerveau bien plus élevés que ceux des patients atteints de la maladie. Cette observation inattendue invite à reconsidérer le rôle de cette protéine, non plus uniquement comme signe de maladie, mais aussi comme un composant fondamental du développement cérébral.

Une présence élevée de p-tau chez les tout-petits : une surprise scientifique

Les travaux menés par Fernando Gonzalez-Ortiz et son équipe à l’Université de Göteborg, publiés dans Brain Communications, ont débuté presque par hasard. En analysant des échantillons de liquide céphalorachidien (LCR) de nouveau-nés suspectés d’hémorragie intraventriculaire, ils ont mesuré des taux de p-tau jusqu’à vingt fois supérieurs à ceux observés chez des patients Alzheimer. Cette première observation soulevait cependant des doutes : ces bébés étaient-ils vraiment représentatifs, ou la pathologie sous-jacente faussait-elle les résultats ?

Pour lever cette incertitude, l’équipe a analysé des échantillons de sang de cordon ombilical de nouveau-nés en parfaite santé. Le constat fut le même : des taux élevés de p-tau, dépassant nettement ceux des personnes atteintes d’Alzheimer. Cette découverte paradoxale suggère que la phosphorylation de tau n’est pas nécessairement toxique ou pathologique, mais peut être physiologiquement normale, voire essentielle, à certaines étapes de la vie.

Tau phosphorylée : toxique ou utile ? Vers une nouvelle compréhension

Cette mise en évidence d’un taux élevé de p-tau chez les nourrissons amène à envisager que cette protéine puisse avoir un rôle fonctionnel dans le cerveau en pleine croissance. Contrairement à l’image traditionnelle de la p-tau comme agent destructeur dans la maladie d’Alzheimer, elle pourrait favoriser le développement des connexions neuronales et la plasticité synaptique, processus cruciaux durant les premiers mois de vie.

La question clé qui se pose est alors : pourquoi le cerveau des nouveau-nés tolère-t-il ces concentrations élevées, et comment les régule-t-il ? La réponse reste à trouver, mais il est probable que des mécanismes spécifiques contrôlent l’équilibre entre la formation et la dégradation de ces protéines, empêchant ainsi toute accumulation toxique.

Implications pour la recherche sur la maladie d’Alzheimer

Cette redéfinition possible du rôle de la protéine tau a des conséquences majeures pour la compréhension et le traitement de la maladie d’Alzheimer. Depuis des années, les recherches se focalisent principalement sur la bêta-amyloïde, avec des traitements ciblant ses plaques. Ces approches ont cependant montré des résultats mitigés, voire décevants, dans leur capacité à freiner le déclin cognitif.

L’étude de Gonzalez-Ortiz soutient l’idée que l’attention devrait se porter davantage sur la protéine tau, véritable responsable du déclin neuronal observé dans la maladie. Comprendre comment la phosphorylation de tau agit différemment dans un cerveau en développement et dans un cerveau malade pourrait ouvrir la voie à de nouvelles thérapies, plus ciblées et potentiellement plus efficaces.

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Les agrégats de protéines tau sont représentés en bleu clair à l’intérieur des microtubules magenta dans ce modèle de pathologie tau. Crédit image : Melina Gyparaki, laboratoire de Melike Lakadamyali, École de médecine Perelman de l’Université de Pennsylvanie via Flickr (domaine public)

Une mise en garde : biomarqueurs et contexte clinique

Il est essentiel de souligner que la simple présence de p-tau ne suffit pas à diagnostiquer une maladie neurodégénérative. Comme l’explique Gonzalez-Ortiz, ces biomarqueurs doivent toujours être interprétés dans un contexte clinique précis. Sans ce cadre, ils perdent leur signification et peuvent induire en erreur.

Cela signifie qu’un taux élevé de p-tau, comme celui observé chez les nouveau-nés, n’est pas nécessairement un signe de pathologie. Ce point souligne la complexité de l’utilisation des biomarqueurs dans la médecine moderne et l’importance de ne pas isoler les données biologiques de leur contexte global.

Perspectives et questions ouvertes

Cette découverte soulève de nombreuses questions encore sans réponse. Par exemple, quel est le moment exact où les niveaux de p-tau diminuent après la naissance ? Existe-t-il des périodes ultérieures dans la vie où ces taux peuvent remonter, en lien avec des phases de neuroplasticité ?

Une autre interrogation concerne la possibilité de prédire à partir de ces taux précoces le risque de développer Alzheimer ou d’autres troubles neurologiques. Le projet de Gonzalez-Ortiz prévoit d’étendre ses recherches en recrutant davantage de participants pour analyser ces liens potentiels.

Conclusion : Le paradoxe tau, entre construction et déclin du cerveau

L’étude des taux élevés de protéine tau phosphorylée chez les nouveau-nés bouleverse la compréhension actuelle de cette molécule longtemps associée uniquement à la dégénérescence cérébrale. Elle invite à repenser le rôle complexe de p-tau, à la fois acteur du développement cérébral et marqueur d’une maladie dévastatrice.

Cette double facette, à la fois « alpha et oméga » de la vie cérébrale, ouvre de nouvelles voies passionnantes pour la recherche. Elle pourrait à terme conduire à des innovations thérapeutiques en exploitant une meilleure compréhension du cerveau, de la naissance à la vieillesse.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.