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« Jusqu’à 30 cm par an » : aucun autre pays au monde ne s’enfonce autant (et ce n’est pas le pire)

Pendant que vous lisez ces lignes, des villes entières en Iran descendent inexorablement sous terre. Une étude satellite révèle qu’un territoire équivalent à la Belgique s’affaisse à une vitesse record, conséquence directe d’une surexploitation catastrophique des nappes phréatiques. Et le pire reste à venir : ce processus est irréversible.

Un pays qui sombre dans le silence

Les images satellites ne mentent pas. Entre 2014 et 2022, les radars de la constellation Sentinel-1 de l’Agence spatiale européenne ont cartographié méthodiquement l’évolution des sols iraniens. Le constat dépasse toutes les prévisions : 106 zones d’affaissement couvrant plus de 31 400 kilomètres carrés ont été identifiées, soit une superficie comparable à celle du Maryland américain.

Ces chiffres abstraits cachent une réalité terrifiante pour les populations locales. L’Iran perd chaque année 1,7 milliard de mètres cubes d’eau souterraine, un rythme totalement insoutenable que la nature ne peut compenser. L’année hydrologique 2024-2025 figure parmi les plus critiques de l’histoire du pays, avec des précipitations moyennes inférieures de 45% à la normale.

Jessica Payne, doctorante à l’Université de Leeds et auteure principale de l’étude publiée dans le Journal of Geophysical Research, établit une comparaison glaçante : là où l’Europe considère un affaissement de 5 à 8 millimètres par an comme extrême, l’Iran compte une centaine de sites qui dépassent les 10 millimètres annuels. Certaines régions battent tous les records mondiaux.

Rafsanjan : chronique d’une chute annoncée

Dans la province de Kerman, au sud-est du pays, connue pour sa production de pistaches, les taux d’affaissement dépassent 35 centimètres par an. Près de la ville de Rafsanjan, les plantations de pistachiers s’étendent à perte de vue sous un climat aride. Pour irriguer ces cultures lucratives, les agriculteurs pompent massivement dans les aquifères souterrains.

Le résultat défie l’entendement : 34 centimètres de descente chaque année. Sur une décennie, cela représente trois à quatre mètres de dénivelé. Imaginez votre maison perdre un étage entier en hauteur relative, sans bouger d’un centimètre. Les fondations se fissurent, les murs se lézardent, les routes gondolent. À Bardaskan, dans le nord du pays, la zone touchée couvre désormais 1 110 kilomètres carrés, soit 40% de plus qu’en 2008.

Les aquifères iraniens assurent environ 60% de l’approvisionnement en eau du pays. Cette dépendance massive s’est transformée en malédiction. L’agriculture représente 77% des zones où l’affaissement dépasse 10 millimètres annuels, révélant le lien direct entre irrigation intensive et effondrement des sols.

Iran
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La mécanique implacable de l’irréversible

Pour comprendre pourquoi ce phénomène ne peut être inversé, il faut saisir le fonctionnement d’un aquifère. Contrairement à un réservoir classique qui se vide et se remplit selon les apports, un aquifère fonctionne comme une éponge géologique complexe. Des couches de sable et d’argile s’empilent sur des centaines de mètres de profondeur, maintenues en suspension par l’eau qui occupe les espaces interstitiels.

Quand l’équilibre entre prélèvement et recharge naturelle se maintient, on observe une oscillation saisonnière appelée récupération élastique. Le sol descend légèrement en période sèche, remonte avec les pluies. Un cycle naturel et stable. Mais lorsque le pompage dépasse durablement la capacité de renouvellement, tout bascule.

L’eau disparaît des profondeurs. Les grains de sable et les particules d’argile, privés de leur support hydraulique, se rapprochent inexorablement sous le poids conjugué des sédiments supérieurs et des infrastructures humaines. Cette compaction permanente écrase définitivement les espaces vides. Même si l’eau revenait par miracle dans ces couches compactées, elle ne pourrait plus soulever ce qui a été écrasé. Le processus est irrémédiable.

Des métropoles au bord du gouffre

Les conséquences touchent directement les grandes agglomérations. Téhéran, Karaj, Machhad, Ispahan et Chiraz font partie des villes directement menacées. À Karaj, deuxième agglomération du pays avec ses quatre millions d’habitants, plus de 23 000 personnes vivent désormais dans des zones classées à haut risque.

Les pentes brutales créées par l’affaissement provoquent des fissures dans les structures. Les bâtiments perdent leur stabilité, les routes se déforment, les voies ferrées se tordent. Des témoignages anecdotiques rapportent l’abandon pur et simple de constructions devenues inhabitables. Les autorités restent silencieuses sur l’ampleur réelle des dégâts, mais les images satellites parlent d’elles-mêmes.

Au-delà des dommages matériels, c’est toute la sécurité hydrique du pays qui s’effondre. Le tassement continu des aquifères signifie la perte définitive d’une grande partie de leur capacité de stockage. Ces réservoirs naturels qui ont mis des millénaires à se constituer perdent irrémédiablement leur volume utile. Durant les futures sécheresses, cette réduction permanente de la capacité de rétention aggravera encore les pénuries.

Un problème qui dépasse les frontières

L’Iran ne constitue pas un cas isolé. Francesca Cigna, chercheuse à l’Institut des sciences atmosphériques et du climat de Rome, souligne que ce scénario se répète dans de nombreuses régions du monde. Mexico, la Vallée Centrale de Californie, plusieurs provinces chinoises et des zones italiennes connaissent des phénomènes similaires.

Mexico a payé le prix fort en 2021 lorsqu’un affaissement de terrain a contribué à l’effondrement d’une ligne de métro, tuant 26 personnes et en blessant des dizaines d’autres. Ces catastrophes ne relèvent plus de l’hypothèse : elles se produisent régulièrement, faisant passer l’Iran du statut de cas particulier à celui d’exemple parmi d’autres d’une crise mondiale.

Les taux maximaux observés en Iran rivalisent avec ceux de Mexico et de Californie, plaçant le pays parmi les points chauds d’affaissement les plus extrêmes de la planète. Cette comparaison internationale démontre que le problème transcende les frontières géopolitiques pour devenir un enjeu planétaire de gestion des ressources en eau.

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Quand la ressource devient malédiction

Le paradoxe iranien illustre cruellement comment une richesse naturelle peut se transformer en piège mortel. Les aquifères qui ont permis l’agriculture intensive et le développement économique du pays deviennent aujourd’hui des bombes à retardement géologiques. Chaque litre d’eau pompé en excès creuse littéralement la tombe des régions qui en dépendent.

Les 650 000 personnes directement exposées aux risques ne représentent que la partie visible du problème. Des millions d’Iraniens dépendent de ces zones agricoles pour leur alimentation et leur économie. Lorsque les infrastructures cèdent, lorsque les routes deviennent impraticables, lorsque les bâtiments s’effondrent, ce sont des pans entiers de l’économie nationale qui s’écroulent avec eux.

Face à l’irréversibilité du phénomène, aucune solution miracle n’existe. Réduire drastiquement le pompage permettrait de stopper la progression, mais ne réparerait pas les dégâts accumulés. Les zones compactées resteront compactées pour les siècles à venir. L’Iran affronte aujourd’hui les conséquences de décennies de surexploitation, et le pays tout entier paie le prix d’un modèle de développement insoutenable qui a sacrifié l’avenir sur l’autel de la productivité immédiate.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.