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Crédits : Juengst et coll. Latin American Antiquity, 2025.

Cette femme enceinte sacrifiée en Équateur il y a 1 200 ans aurait été tuée… pour apaiser El Niño

Le sacrifice humain est un aspect bien documenté de l’histoire précolombienne, mais une excavation récente en Équateur pourrait avoir mis au jour l’un des exemples les plus énigmatiques à ce jour. Un groupe d’archéologues y a en effet découvert les restes d’une femme enceinte et de son fœtus, morts il y a environ 1 200 ans. L’analyse des ossements de la femme a révélé qu’elle avait été frappée à mort et démembrée, ce qui pourrait indiquer un sacrifice rituel, possiblement en tant qu’offrande rituelle destinée à apaiser les dieux à l’origine d’épisodes d’El Niño dévastateurs à l’époque et pour garantir le succès agricole.

La découverte choquante d’une femme enceinte démembrée

Une étude récente, publiée dans la revue Latin American Antiquity, a dévoilé une découverte inédite et macabre réalisée lors de leurs travaux d’excavation à Buen Suceso, en Équateur, qui remonte à la période Manteño (771 à 953 apr. J.-C.). Dirigée par Sara Juengst, bioarchéologue à l’Université de Caroline du Nord à Charlotte (États-Unis), l’équipe a en effet trouvé six sépultures qui datent de cette époque caractérisée par des chefferies complexes regroupant des populations côtières qui pratiquaient l’agriculture et la navigation. Toutefois, parmi les six tombes excavées, la sépulture 10, celle d’une femme enceinte, se distingue par son caractère exceptionnel.

La jeune femme âgée d’environ dix-sept à vingt ans était enceinte de sept à neuf mois au moment de sa mort. La datation au radiocarbone situe son décès entre 771 et 953. Surtout, ses restes portaient des signes d’une mort particulièrement violente. Des fractures sur son crâne suggèrent en effet qu’elle aurait succombé à un coup porté à l’avant de la tête par un objet lourd. De plus, ses os montraient qu’elle avait été battue. Après sa mort, ses mains et sa jambe gauche ont par ailleurs été violemment retirées.

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Source: DR
Dessin de la sépulture 10 in situ lors de l’excavation, réalisé par Kathryn Killacky ainsi qu’un schéma indiquant les éléments manquants (en gris foncé), les éléments perturbés (en gris clair) ainsi que l’emplacement des mascaras (croissants) et des pendentifs (carrés). Crédits : Juengst et coll. Latin American Antiquity, 2025.

Une collection d’objets étonnants accompagnait le corps

Les objets retrouvés dans la tombe rendent l’inhumation encore plus unique. Cette collection élaborée d’artefacts comprenait des coquilles de palourdes posées sur ses orbites, des ornements en forme de croissant faits de coquilles de mollusques Spondylus, trois lames d’obsidienne placées autour de son corps et une pince de crabe posée sur son abdomen. Plusieurs des artefacts en coquilles de mollusques étaient âgés de 2 000 ans de plus que la tombe et auraient été des biens commerciaux extrêmement précieux selon les chercheurs.

De plus, le crâne d’une personne âgée de 25 à 35 ans avait été déposé près de l’épaule de la femme enceinte et une offrande brûlée avait été placée sur sa poitrine. La datation au radiocarbone de ce matériau brûlé a révélé qu’il avait été ajouté entre 991 et 1025, donc potentiellement plusieurs siècles après la mort de la femme.

Bien que très rare pour les peuples côtiers de l’Équateur, l’équipe a souligné l’intérêt de ce sacrifice en raison de la contradiction entre la manière « déshumanisante et oppressante » dont la victime a été tuée et la richesse des biens de valeur trouvés dans sa tombe. La disposition des artefacts autour de son corps et sur son abdomen indique en effet « une protection et un traitement particulier pour elle et son fœtus », s’étonne Juengst qui ajoute que le Spondylus « est associé à la fertilité et à l’eau, et était prisé par de nombreuses cultures sud-américaines ».

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Les objets trouvés avec le corps. Crédits : Juengst et coll. Latin American Antiquity, 2025.

Un sacrifice rituel… mais pour quelle raison ?

Bien que la nature violente de sa mort soit évidente, les offrandes et les objets de valeur découverts dans sa tombe suggèrent une exécution organisée et intentionnelle plutôt qu’une attaque impulsive. Cette contradiction soulève également des questions sur son statut et les circonstances de sa mort.

Les chercheurs ont notamment proposé deux hypothèses pour expliquer la mort et l’inhumation inhabituelles de cette jeune femme. La première suggère qu’elle pourrait avoir été victime de jalousie ou de rivalité politique. « Le fait qu’il s’agisse d’une femme enceinte pourrait indiquer que les femmes occupaient des positions importantes et qu’il était nécessaire de « gérer » leur pouvoir », avance Juengst. « Si un rival de cette femme voulait prendre le contrôle, il aurait dû l’éliminer, elle et sa descendance à naître, tout en lui rendant honneur en raison de son statut»

La seconde hypothèse rappelle que les peuples locaux de l’époque vivaient une période difficile marquée par des épisodes intenses d’El Niño. Ces événements auraient ainsi probablement entraîné des problèmes de récolte et le sacrifice aurait pu être une tentative pour apaiser les dieux et prier pour une agriculture plus fructueuse. Les chercheurs affirment à ce titre que de nombreux artefacts retrouvés dans sa tombe « évoquaient des environnements aquatiques », suggérant ainsi justement un lien plus profond avec la nature et les ressources locales.

D’autres experts appellent toutefois à la prudence dans l’interprétation des conclusions et espèrent de futures données obtenues lors d’excavations futures pourraient renforcer les conclusions de cette étude. Quelles que soient les motivations derrière le meurtre de cette femme et de son fœtus, les chercheurs affirment en tout cas que cette découverte fournit de nouvelles perspectives sur l’archéologie équatorienne et sur la manière dont les facteurs environnementaux et sociaux étaient liés aux comportements culturels, y compris le sacrifice rituel.

Julie Durand

Rédigé par Julie Durand

Autrefois enseignante, j'aime toujours autant partager mes connaissances et mes passions avec les autres. Je suis notamment passionnée par la nature et les technologies, mais aussi intriguée par les mystères nichés dans notre Univers. Ce sont donc des thèmes que j'ai plaisir à explorer sur Sciencepost à travers les articles que je rédige, mais aussi ceux que je corrige.