De nombreuses espèces inconnues peuplent les profondeurs des océans et leur découverte comme leur étude sont donc toujours un évènement pour la science. Cette baleine, considérée comme la plus rare au monde, ne fait pas exception. Avec seulement sept spécimens repérés à ce jour, tous découverts morts, on ne sait presque rien sur cette espèce énigmatique. Tout cela pourrait toutefois changer.
Le lundi 2 décembre et jusqu’au vendredi, un petit groupe de scientifiques et d’experts culturels en Nouvelle-Zélande a décidé de se réunir autour d’un spécimen presque parfaitement préservé de baleine à bec de travers (Mesoplodon traversii) pour le disséquer et peut-être percer des décennies de mystère.
Une baleine vraiment très rare
Les baleines à bec de travers sont une espèce de baleine à bec nommée ainsi en raison de leurs dents, semblables à des lames utilisées autrefois pour découper les couches de graisse des baleines. Seulement sept d’entre elles ont été documentées depuis les années 1800, toutes sauf une ayant été découvertes en Nouvelle-Zélande. Lorsqu’un mâle de cinq mètres de long s’est échoué en juillet à Otago, dans l’île du Sud, cela a donc suscité l’enthousiasme des spécialistes des cétacés. Jusqu’alors, leur connaissance de cette espèce se limitait en effet à des ossements et tissus trouvés sur des spécimens découverts à des décennies d’intervalle.
Plus précisément, le premier spécimen avait été découvert et décrit en 1874 à partir d’une mâchoire inférieure et de deux dents trouvées dans les îles Chatham, au large de la côte est de l’île du Sud de la Nouvelle-Zélande. L’analyse ADN de tissus provenant de deux spécimens enterrés (une mère et son petit) en 2010 a ensuite permis de décrire leur apparence. En 2017, un autre spécimen s’est échoué dans une zone reculée de Waipiro Bay, au nord de Gisborne, avant d’être enterré, puis examiné.
Une étude publiée en 2012 dans Current Biology indique par ailleurs que plusieurs espèces de baleines à bec vivent dans le Pacifique Sud, une région qui abrite certaines des fosses océaniques les plus profondes au monde. Ces cétacés sont en effet des plongeurs des profondeurs abyssales qui passent leur temps en dessous de la surface pour chasser des calmars et de petits poissons. Cependant, depuis la découverte de l’espèce, peu de choses concrètes ont été apprises à son sujet.

Un examen de près pour la première fois en collaboration avec les Māori
Le lundi 2 décembre, des scientifiques internationaux et locaux se sont réunis avec les Māori locaux à l’Agresearch Centre d’Invermay, à Mosgiel, une ville près de Dunedin (Nouvelle-Zélande), pour examiner la baleine. Ce travail se fait en collaboration étroite avec les Māori d’Ōtākou qui détiennent des droits coutumiers sur la région où la baleine s’est échouée.
Or, ce peuple considère les baleines comme un taonga, un trésor sacré de grande importance culturelle. « Les baleines sont des animaux incroyablement importants dans notre culture… notre arrivée en Aotearoa [Nouvelle-Zélande] est profondément liée aux baleines et comme d’autres cultures à travers le monde, nous utilisons différentes parties de leur corps », explique Tūmai Cassidy, un participant à l’étude.
Selon Cassidy, les Māori d’Ōtākou s’impliquent donc activement au processus d’étude depuis que la baleine s’est échouée, décrivant cette occasion d’apporter des connaissances autochtones et de collaborer avec la science occidentale comme une « immense opportunité et un privilège exceptionnel ». Leur présence tout au long de la dissection leur devait aussi leur permettre d’observer leurs coutumes, telles que le karakia (une prière) au cours d’un examen méthodique, lent et réalisé dans le calme tout en traitant l’animal avec la révérence due à un ancêtre.

Pourquoi la dissection de cette baleine est-elle un évènement ?
Cette étude approfondie suscite l’enthousiasme des chercheurs à l’échelle mondiale. « Les baleines à bec sont le groupe de grands mammifères le plus énigmatique de la planète », explique en effet Anton van Helden, un scientifique spécialisé dans ces cétacés, dans un communiqué. « Ce sont des plongeuses profondes, rarement observées en mer, ce qui rend leur étude extrêmement difficile. La majorité de ce que nous savons sur ces baleines insaisissables provient de l’examen de spécimens échoués et morts. C’est la plus rare des rares […] et c’est la première fois que nous avons l’opportunité de réaliser une dissection de ce type ».
« Il pourrait y avoir des parasites totalement inconnus de la science qui vivent uniquement chez cette baleine », avance van Helden, très enthousiaste. « Qui sait ce que nous allons découvrir ? » Au cours de cet examen de cinq jours, les chercheurs voulaient en effet se concentrer sur la description de l’espèce et sur la compréhension de son mode de vie. Ils analyseront de manière méthodique la disposition de son estomac (différente pour chaque espèce de baleine à bec), la manière dont elle produit des sons, le nombre de vertèbres qu’elle possède, le poids de sa graisse, la structure de sa gorge et bien d’autres caractéristiques. Ces découvertes pourraient alors également aider à gérer les menaces humaines qui pèsent sur l’espèce.
« Ce qui nous intéresse, ce n’est pas seulement comment ces animaux meurent, mais comment ils vivent », conclut Joy Reidenberg, anatomiste comparatif à l’École de médecine Icahn du Mont Sinaï à New York. « En découvrant comment ils vivent, nous espérons trouver des éléments que nous pourrons appliquer à la condition humaine. »
