La pénurie d’organes pour les transplantations cardiaques représente un défi médical majeur. En France, 411 greffes cardiaques ont été réalisées en 2022, un nombre insuffisant face aux 2 candidats pour 1 seul greffon disponible. La situation est particulièrement critique chez les enfants : 18 enfants en attente de greffe sont décédés faute de greffon compatible en 2023. Face à cette situation dramatique, deux équipes de chirurgiens américains viennent de franchir une étape décisive en développant des techniques innovantes qui pourraient transformer radicalement le paysage des transplantations cardiaques.
Le défi majeur des transplantations pédiatriques
La transplantation cardiaque reste l’un des défis les plus complexes de la médecine moderne. Traditionnellement, la majorité des greffons proviennent de patients en état de mort cérébrale dont le cœur continue de battre. Cependant, ces cas demeurent insuffisants pour répondre à la demande croissante, particulièrement chez les plus jeunes patients.
Les chirurgiens peuvent également récupérer des cœurs après arrêt cardiaque, mais cette approche présente des obstacles considérables. Les méthodes existantes nécessitent soit des machines extracorporelles coûteuses – inutilisables pour les donneurs de moins de 40 kg – soit une réanimation directe dans le corps du donneur, soulevant d’importantes questions éthiques.
Ces préoccupations éthiques ne sont pas anodines. La réanimation cardiaque dans le corps pourrait théoriquement modifier la cause officielle du décès, passant de la mort circulatoire à la mort cérébrale. Plus troublant encore, cette procédure risquerait de rétablir un flux sanguin vers le cerveau, malgré l’usage de clamps pour bloquer cette circulation.
Une percée technique pour les cœurs d’enfants
C’est dans ce contexte que Joseph Turek, chirurgien cardiaque pédiatrique à l’Université Duke, et son équipe ont développé une solution ingénieuse. Leur technique consiste à réanimer le cœur entièrement hors du corps, contournant ainsi les dilemmes éthiques précédents.
Le procédé repose sur un système sophistiqué mais relativement simple : du sang oxygéné est injecté dans le cœur via un tube connecté à l’aorte, puis drainé par un évent placé dans le ventricule gauche. Ce sang est ensuite recueilli, réoxygéné et réinjecté en circuit fermé, maintenant l’organe en vie le temps nécessaire à la transplantation.
Après des tests concluants sur des porcelets de 12 semaines, l’équipe a franchi le cap du premier essai humain. Le cas rapporté dans le New England Journal of Medicine décrit la transplantation réussie du cœur d’un bébé d’un mois décédé vers un nourrisson de trois mois. Trois mois après l’intervention, le cœur du receveur fonctionnait parfaitement, sans aucun signe de rejet.
Cette avancée pourrait permettre jusqu’à 100 transplantations cardiaques pédiatriques supplémentaires chaque année aux États-Unis. Au-delà de son impact clinique, cette technique présente l’avantage d’être économiquement accessible, ne nécessitant pas les équipements coûteux des méthodes extracorporelles traditionnelles.

Une approche complémentaire pour les adultes
Parallèlement, l’équipe de John Trahanas au Vanderbilt University Medical Center a développé une approche différente mais tout aussi prometteuse. Leur technique consiste à maintenir le cœur dans un état de repos contrôlé plutôt que de le réanimer.
La procédure implique le clampage de l’aorte du donneur décédé, suivi du remplissage du cœur avec un liquide oxygéné froid. Cette solution, composée de globules rouges, d’une solution protectrice, d’électrolytes et de multivitamines, préserve l’organe sans le réactiver. Le cœur peut ensuite être prélevé chirurgicalement et transplanté dans des conditions optimales.
Les résultats des trois premiers patients adultes, âgés de 40 à 60 ans, sont remarquables. Six mois après leur transplantation, tous présentaient un cœur fonctionnel sans signe de rejet. Encouragés par ces succès, les chirurgiens ont depuis étendu la procédure à 20 patients avec des résultats positifs constants.
Vers une nouvelle ère des transplantations
Ces deux techniques représentent bien plus qu’une simple amélioration technique. Elles ouvrent la voie à une augmentation significative du nombre d’organes disponibles tout en respectant les considérations éthiques qui encadrent la pratique médicale.
Robert Montgomery, spécialiste en transplantation à l’Université de New York, souligne l’importance de ces avancées qui contournent les défis éthiques des méthodes existantes. Cependant, comme pour toute innovation médicale, ces techniques devront être reproduites à plus grande échelle pour confirmer leur efficacité et garantir la qualité des greffons.
L’avenir des transplantations cardiaques semble s’éclaircir. Ces nouvelles approches pourraient non seulement sauver davantage de vies, mais aussi démocratiser l’accès à ces interventions vitales, particulièrement pour les patients les plus vulnérables.
