Imaginez-vous en train de faire griller de la viande pendant que vous flottez au-dessus de la Terre. Impensable ? C’est pourtant exactement ce qui vient de se produire à bord de la station spatiale chinoise Tiangong. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, des astronautes ont véritablement cuisiné un repas dans l’espace, marquant une rupture radicale avec six décennies d’alimentation spatiale peu ragoûtante.
Soixante ans de tubes et de poudres
L’aventure culinaire spatiale n’a jamais été un long fleuve tranquille. Lorsque Youri Gagarine est devenu le premier homme dans l’espace en 1961, son menu se limitait à un tube de pâte de bœuf et de foie accompagné d’une sauce au chocolat. Appétissant ? Pas vraiment. Les premiers astronautes américains n’ont guère été mieux lotis : John Glenn et ses successeurs du programme Mercury devaient se contenter de cubes lyophilisés, de poudres déshydratées et de semi-liquides conditionnés dans des tubes en aluminium.
Le problème ne résidait pas seulement dans le goût discutable de ces préparations. Les miettes représentaient un danger réel pour les équipements sensibles et pouvaient même pénétrer dans les yeux ou les poumons des astronautes. Les aliments lyophilisés, quant à eux, se révélaient difficiles à réhydrater correctement. Même les sandwichs, testés lors des missions Apollo, ont dû être abandonnés : le pain ne se conservait pas et générait trop de miettes.
Une amélioration progressive mais limitée
Les choses ont commencé à évoluer avec l’arrivée des stations spatiales. Skylab a inauguré le premier congélateur spatial, tandis que les navettes disposaient de cuisines permettant de réhydrater et de réchauffer les aliments. Aujourd’hui, les occupants de la Station spatiale internationale bénéficient d’une alimentation relativement variée, même si elle reste fondamentalement basée sur le réchauffage de plats préparés.
Jusqu’à présent, personne n’avait franchi le cap de la véritable cuisson. Et pour cause : le feu se comporte de manière radicalement différente dans l’espace. Il adopte une forme sphérique et, en l’absence de gravité, la fumée ne monte pas naturellement. Elle suit les mouvements d’air imposés par les systèmes de ventilation, compliquant considérablement la détection d’un éventuel incendie. Un risque que personne ne voulait prendre à bord d’une station spatiale.
La révolution du four à air chaud
C’est précisément ce défi que les ingénieurs chinois viennent de relever. Le nouveau four à air chaud livré par le vaisseau Shenzhou-21 permet de porter les aliments à 190 degrés Celsius, déclenchant de véritables réactions chimiques de cuisson. Contrairement au simple réchauffage, cette température permet de dorer les aliments et de les rendre croustillants. Les astronautes de Tiangong ont ainsi pu savourer des ailes de poulet grillées, suivies d’un plat de bœuf.
La sécurité a été pensée dans les moindres détails. Le four maintient les aliments fermement en place pour éviter qu’ils ne s’échappent et ne flottent dans la station. Un système sophistiqué de catalyse à haute température et de filtration multicouche élimine toute fumée avant qu’elle ne pose problème. Toutes les surfaces accessibles restent froides au toucher, écartant tout risque de brûlure pour les astronautes.

Vers une nouvelle ère alimentaire spatiale
Cette innovation dépasse largement le simple plaisir gustatif. Elle ouvre la voie à une alimentation spatiale véritablement diversifiée : gâteaux, cacahuètes grillées, viandes rôties. Les astronautes pourront désormais célébrer leurs anniversaires, les week-ends ou les jours fériés avec de vrais repas festifs. Un facteur psychologique crucial pour des missions qui s’étendent sur plusieurs mois.
Certes, la patience reste de mise : les ailes de poulet ont nécessité vingt-huit minutes de cuisson. Mais ce délai semble dérisoire au regard de l’avancée technologique accomplie. Alors que l’humanité envisage sérieusement des missions habitées vers Mars ou l’installation de bases lunaires permanentes, pouvoir cuisiner de vrais repas devient un atout majeur pour le moral et la santé des équipages. Une petite aile de poulet pour les astronautes chinois, un bond de géant pour l’alimentation spatiale de demain.
