Les animaux peuvent-ils penser comme nous ? Mieux encore : peuvent-ils poser des questions ? Voilà une idée qui circule depuis des décennies, parfois mal comprise, souvent exagérée. Pourtant, selon plusieurs études, seuls deux animaux non humains auraient jamais été observés en train de poser une vraie question à un humain. Et ils ne sont ni singes, ni dauphins, ni chiens. Ce sont… des perroquets gris d’Afrique.
Des singes qui parlent, mais ne questionnent pas
Depuis les années 1960, les scientifiques tentent d’apprendre à des singes à communiquer avec les humains. Le cas le plus célèbre est celui de Koko, une femelle gorille élevée par la psychologue Francine Patterson. Koko aurait appris à utiliser plus de 1 000 signes en langue des signes et compris plus de 2 000 mots anglais. D’autres grands singes comme Sarah le chimpanzé ont également appris à manipuler des symboles ou des mots.
Mais malgré cette avancée impressionnante, aucun de ces singes n’a jamais été documenté en train de poser une question directe. Ils peuvent répondre, commenter, même exprimer des émotions ou des désirs, mais pas interroger.
Comme l’ont souligné les chercheurs David et Ann Premack :
« Sarah ne retardait jamais le départ de son dresseur après ses cours en lui demandant où il allait, quand il reviendrait, ou quoi que ce soit d’autre. »
Or, poser une question est bien plus qu’un acte de communication : c’est un signe de curiosité, de conscience de ce qu’on ne sait pas, et peut-être, de conscience de soi.
Notez aussi que certains scientifiques, comme Cat Hobaiter, spécialiste de la cognition des primates à l’université de St Andrews, soulignent que des gestes faits par des singes pourraient s’apparenter à des questions implicites. Un singe qui pointe une banane tout en regardant un humain pourrait par exemple vouloir dire « Est-ce que je peux l’avoir ? »
Mais là encore, il ne s’agit pas de formuler une question abstraite, avec un langage structuré, comme les perroquets l’ont fait.
Alex, le perroquet philosophe
C’est justement ce qu’a semblé démontrer Alex, un perroquet gris d’Afrique devenu célèbre dans les années 1980. Formé par la psychologue Irene Pepperberg, Alex maîtrisait plus de 100 mots, pouvait compter jusqu’à 6, différencier les formes, les couleurs et même comprendre le concept de « zéro ».
Mais en 1980, il fait quelque chose de totalement inédit : en se regardant dans un miroir, Alex demande à une étudiante du laboratoire : « Qu’est-ce que c’est ? », en désignant son propre reflet.
Quand elle lui répond : « C’est toi, tu es un perroquet », il enchaîne avec une autre question :
« De quelle couleur ? »
C’est ainsi qu’il apprit le mot « gris » — et c’est aussi l’un des rares moments de l’histoire scientifique où un animal semble poser une question spontanée, directe et abstraite à un humain.
Apollon, son héritier
Aujourd’hui, un autre perroquet gris d’Afrique, Apollo, semble suivre les traces d’Alex. Né en 2020, il a été entraîné dans un environnement linguistique stimulant, et a déjà été observé posant des questions comme « Comment ça s’appelle ? »ou « De quelle couleur ? » à ses soigneurs humains.
S’agit-il simplement d’une imitation ? Ou ces perroquets ont-ils vraiment une forme de curiosité consciente ? Pour certains chercheurs, ces comportements sont suffisamment structurés et spontanés pour dépasser le simple mimétisme.
Une vraie question d’intelligence
Alors que signifie le fait de poser une question ? Ce n’est pas simplement un acte de communication, mais un indice puissant d’une pensée réflexive. Cela demande de comprendre qu’il y a quelque chose qu’on ne sait pas, et que l’autre peut savoir. C’est une forme de théorie de l’esprit, considérée comme l’un des fondements de l’intelligence humaine.
Et aujourd’hui, seuls deux animaux non humains — Alex et Apollo — ont franchi cette frontière.
