matière noire horloges nucléaires
Un cristal de fluorite contenant des atomes de l'élément radioactif thorium-229. Il a été utilisé pour mesurer avec précision le spectre d'absorption des noyaux atomiques à l'Institut national allemand de métrologie (PTB). Crédits : PTB

Cette horloge pourrait détecter une matière noire 100 millions de fois plus faible que la gravité

La matière noire est partout, et pourtant personne ne l’a jamais vue. Elle façonne les galaxies, influe sur la structure de l’Univers, mais reste insaisissable. À ce jour, aucune expérience n’a permis de la détecter directement. Pourtant, une équipe de scientifiques allemands propose une idée audacieuse : exploiter la précision extrême d’une future horloge nucléaire pour révéler, enfin, son influence. Cette approche innovante repose sur l’utilisation du thorium-229, un isotope très particulier, dont les propriétés pourraient bouleverser la recherche fondamentale.

L’horloge nucléaire : plus précise que l’horloge atomique

Aujourd’hui, les horloges atomiques sont les instruments de mesure du temps les plus précis dont nous disposons. Elles fonctionnent en s’appuyant sur la fréquence d’oscillation des électrons qui gravitent autour d’un noyau atomique. Mais ces électrons restent sensibles aux perturbations extérieures, ce qui limite, à terme, la précision maximale de ces dispositifs.

Avec l’horloge nucléaire, le principe est différent : elle n’utilise plus les électrons mais les transitions d’énergie à l’intérieur même du noyau atomique. Or, ces noyaux sont bien plus stables et bien moins sensibles aux perturbations externes. Le thorium-229, en particulier, possède une propriété rare : l’une de ses transitions nucléaires est d’une énergie très basse, accessible à des mesures optiques. Cela ouvre la porte à la création d’une horloge d’un tout nouveau genre, capable d’atteindre une précision théorique encore jamais vue.

Selon les chercheurs, une telle horloge pourrait dépasser de loin les performances des actuelles horloges atomiques. Elle pourrait mesurer des variations infinitésimales dans le temps et dans l’espace, devenant ainsi un outil sans équivalent pour explorer des phénomènes physiques encore inaccessibles.

Quand la mesure du temps devient un détecteur de matière noire

Ce qui rend cette approche particulièrement fascinante, c’est son application inattendue : traquer la matière noire non pas en l’observant directement, mais en étudiant ses effets subtils sur la matière ordinaire. L’équipe du professeur Gilad Perez, à l’Institut Weizmann des sciences, suggère en effet que les oscillations hypothétiques de la matière noire pourraient influencer, très légèrement, la masse des noyaux atomiques — et donc perturber la fréquence de résonance d’une horloge nucléaire.

Dans un Univers sans matière noire, les propriétés des noyaux resteraient parfaitement constantes. Mais si la matière noire agit comme une sorte d’onde invisible traversant l’espace, elle pourrait induire des variations infimes du spectre d’absorption du thorium-229. Ces variations seraient si discrètes qu’elles ne pourraient être captées que par une horloge d’une précision extrême, comme celle que les chercheurs tentent aujourd’hui de mettre au point.

Selon leurs calculs théoriques, il serait possible de détecter l’influence de la matière noire même si celle-ci était 100 millions de fois plus faible que la gravité. C’est dire la finesse de l’instrument envisagé.

matière noire
Source: DR
La matière noire est partout, et pourtant personne ne l’a jamais vue… encore. Crédits : Scott Lord/Pexels

Des défis techniques majeurs mais des perspectives inédites

Construire une telle horloge reste un défi colossal. Le thorium-229 est non seulement rare, mais aussi radioactif et très coûteux. Les quantités nécessaires sont infimes, mais leur manipulation reste délicate. Des équipes travaillent actuellement à perfectionner des techniques de dépôt physique en phase vapeur pour réduire la quantité de matériau requis, rendant ainsi le projet plus accessible.

En attendant qu’une horloge nucléaire pleinement fonctionnelle voie le jour, les chercheurs poursuivent leurs simulations et leurs modèles. Ils affinent leur compréhension des effets que pourrait produire la matière noire sur le spectre d’absorption du thorium-229, dans l’espoir d’être prêts le jour où ces variations infimes pourront enfin être mesurées.

Si ces travaux aboutissent, ils pourraient non seulement révolutionner la physique du temps, mais aussi offrir un nouvel angle d’attaque dans la quête de la matière noire. Ce détecteur improbable, né d’une simple volonté de mesurer le temps plus précisément, pourrait ainsi devenir l’outil clé pour percer l’un des plus grands mystères de l’Univers.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.