L’érythritol trône dans nos placards comme l’alternative parfaite au sucre : zéro calorie, goût authentique, effet négligeable sur la glycémie. Millions de consommateurs soucieux de leur santé l’ont adopté sans arrière-pensée. Pourtant, une nouvelle étude vient jeter un pavé dans la mare en révélant que cet édulcorant apparemment inoffensif pourrait infliger des dommages silencieux aux cellules qui protègent notre cerveau. Cette découverte, publiée dans le Journal of Applied Physiology, relance un débat scientifique crucial sur la sécurité réelle des substituts du sucre.
L’ascension fulgurante d’un substitut miracle
L’érythritol s’est imposé comme le champion des édulcorants alternatifs grâce à son profil apparemment idéal. Contrairement à ses concurrents chimiques, il possède des origines rassurantes : on le trouve naturellement dans le raisin et d’autres fruits, et notre organisme en produit même de petites quantités. Sa version commerciale, issue de la fermentation du maïs, reproduit fidèlement la douceur du sucre traditionnel sans ses inconvénients caloriques.
Cette combinaison parfaite entre goût authentique et bénéfices nutritionnels a propulsé l’érythritol au sommet du marché des édulcorants. Il colonise désormais les rayons des supermarchés, des glaces sans sucre aux sodas light, en passant par les pâtisseries allégées et les compléments alimentaires destinés aux diabétiques.
Son succès repose sur une promesse séduisante : permettre aux consommateurs de savourer la douceur sans compromettre leurs objectifs de santé ou de perte de poids. Une promesse qui pourrait aujourd’hui révéler ses premières failles.
Quand les cellules cérébrales tirent la sonnette d’alarme
L’équipe de Christopher DeSouza à l’Université du Colorado a mené une expérience aussi simple que révélatrice. Les chercheurs ont isolé des cellules endothéliales cérébrales humaines – ces gardiens microscopiques qui tapissent l’intérieur de nos vaisseaux sanguins cérébraux – et les ont exposées à une dose d’érythritol équivalente à celle contenue dans un demi-litre de glace sans sucre.
Après trois heures d’exposition, les cellules ont montré des signes de détresse inquiétants. Leur production de radicaux libres, ces molécules destructrices qui accélèrent le vieillissement cellulaire, a considérablement augmenté. Simultanément, leur capacité à produire de l’oxyde nitrique – un composé essentiel à la dilatation des vaisseaux sanguins – s’est dramatiquement affaiblie.
Plus préoccupant encore, les cellules ont augmenté leur production d’endothéline-1, une substance qui resserre les vaisseaux sanguins et entrave la circulation cérébrale. Cette combinaison toxique crée un environnement vasculaire défavorable qui pourrait compromettre l’irrigation optimale du cerveau.
Le mécanisme de la coagulation perturbé
L’expérience a révélé un aspect particulièrement alarmant : l’impact de l’érythritol sur les mécanismes naturels de protection contre les caillots sanguins. Lorsque les chercheurs ont exposé les cellules à la thrombine, une enzyme clé dans la formation des caillots, les cellules préalablement traitées à l’érythritol ont montré une capacité réduite à produire l’activateur tissulaire du plasminogène (t-PA).
Cette protéine joue un rôle crucial dans la dissolution des caillots sanguins, agissant comme un système de sécurité naturel contre les obstructions vasculaires. Sa diminution pourrait théoriquement augmenter le risque d’accidents vasculaires cérébraux en compromettant la capacité de l’organisme à éliminer les formations de caillots potentiellement dangereuses.
« Nos résultats apportent des éclairages supplémentaires sur la façon dont des taux élevés d’érythritol pourraient contribuer à un risque accru d’AVC« , explique DeSouza, tout en soulignant la nature préliminaire de ces observations.

Un puzzle scientifique en construction
Cette étude s’inscrit dans un contexte de préoccupations croissantes autour des édulcorants artificiels. En 2023, une vaste enquête portant sur plus de 4 000 participants américains et européens avait déjà établi une corrélation troublante entre des taux sanguins élevés d’érythritol et l’augmentation des risques cardiovasculaires.
Parallèlement, l’Organisation mondiale de la Santé a publié des recommandations défavorables concernant l’usage prolongé d’édulcorants sans sucre, citant des preuves suggérant leur inefficacité pour le contrôle du poids et leurs liens potentiels avec le diabète de type 2 et les maladies cardiaques.
Cependant, la communauté scientifique reste divisée sur l’interprétation de ces données. Amy Reichelt, neuroscientifique nutritionniste à l’Université d’Adélaïde, tempère l’alarmisme en rappelant les limitations inhérentes aux études in vitro : « L’impact physiologique réel sur la santé humaine dans le contexte alimentaire quotidien reste incertain. »
Entre prudence et recherche approfondie
Face à ces découvertes contradictoires, les experts recommandent une approche nuancée. Les personnes souffrant de problèmes cardiovasculaires devraient envisager de modérer leur consommation d’érythritol, tandis que les consommateurs réguliers de produits sans sucre gagneraient à surveiller leurs apports totaux.
DeSouza reconnaît les limites de son étude tout en soulignant son importance : « À ce stade, nous ne pouvons pas définir de limite supérieure de sécurité précise, mais si vous consommez régulièrement des produits sans sucre, il est judicieux de surveiller votre consommation d’érythritol.«
Cette prudence scientifique reflète la complexité du défi : comment concilier les bénéfices apparents d’un édulcorant populaire avec des signaux d’alarme émergents qui demandent confirmation par des études cliniques plus larges sur des populations humaines réelles.
