La capacité des chauves-souris à vivre trois fois plus longtemps que des mammifères de taille similaire suscite des interrogations sur la possible résistance au cancer de ces créatures volantes. Une étude récente a examiné de manière approfondie cette question chez différentes espèces. L’une d’entre elles serait particulièrement résistante. Cette recherche révèle également plusieurs mécanismes génétiques uniques liés à cette aptitude.
Les chauves-souris, résistantes au cancer ?
Les chauves-souris constituent environ 20% de toutes les espèces de mammifères vivants avec plus de 1400 espèces. Elles se distinguent par diverses adaptations qui ont contribué à leur succès évolutif. Leurs caractéristiques notables comprennent le vol autonome, l’écholocation, une tolérance élevée aux virus et une longévité exceptionnelle. En effet, les chauves-souris ont souvent une durée de vie trois fois supérieure à celle des mammifères de taille similaire.
D’autres mammifères à la durée de vie exceptionnellement longue existent, comme les rats-taupes nus et les rats-taupes aveugles, qui sont également connus pour leur résistance accrue au cancer. Cela suggère que les chauves-souris pourraient également avoir développé une résistance à cette maladie, en particulier pour les espèces à longue durée de vie.
Certains mécanismes moléculaires et génomiques suggèrent déjà que les chauves-souris peuvent posséder une résistance naturelle au cancer. Des études ont en effet révélé une régulation négative des microARN oncogènes (favorables au cancer) et une régulation positive des microARN ayant des effets protecteurs contre le cancer chez certaines espèces, comme Myotis myotis.
De plus, des changements adaptatifs ont été identifiés dans des gènes tels que le récepteur de l’hormone de croissance et le P53, des éléments étroitement liés à la résistance au cancer.
Cependant, malgré ces observations moléculaires encourageantes, la compréhension expérimentale de la résistance au cancer chez les chauves-souris restait limitée. Des recherches systématiques supplémentaires étaient donc nécessaires pour valider et approfondir ces découvertes.
L’étude approfondie de la résistance au cancer chez les chauves-souris pourrait également offrir des perspectives précieuses sur les mécanismes naturels de protection contre cette pathologie et éclairer la recherche chez les humains.

Le cas Myotis pilosus
Dans le cadre de leurs recherches, les scientifiques ont entrepris d’examiner la résistance au cancer chez sept espèces de chauves-souris en activant délibérément des gènes oncogènes (favorisant l’apparition de tumeurs) dans leurs cellules primaires. Cette approche expérimentale visait à évaluer la capacité des chauves-souris à faire face à des conditions propices à la formation de tumeurs.
Les expériences, menées à la fois in vitro (en laboratoire) et in vivo (dans un organisme vivant), ont révélé que Myotis pilosus (MPI) se distingue par une résistance particulièrement marquée au cancer. Cette observation suggère que cette espèce spécifique de chauve-souris a développé des mécanismes cellulaires et moléculaires qui la rendent plus apte à contrer la formation de tumeurs cancéreuses.
Les analyses transcriptomiques, qui étudient l’ensemble des ARN messagers présents dans les cellules, ainsi que les analyses fonctionnelles ont permis d’identifier trois gènes clés, à savoir HIF1A, COPS5 et RPS3, dont la régulation négative contribue de manière significative à la résistance au cancer chez MPI. Ces gènes semblent donc jouer un rôle crucial dans les processus cellulaires qui limitent ou préviennent la croissance tumorale.
L’étonnante perte d’un amplificateur clé
Les chercheurs ont également identifié la perte d’un amplificateur potentiel qui contient le site de liaison HIF1A en amont de COPS5 chez Myotis pilosus. Cette perte entraîne une régulation négative de COPS5, ce qui suggère un mécanisme spécifique à cette espèce de chauve-souris pour réguler l’activité des gènes liés à la résistance au cancer.
Pour mieux comprendre, un amplificateur est une région d’ADN qui peut augmenter l’expression d’un gène spécifique. Cela signifie qu’il peut accroître la production de l’ARN messager associé à ce gène, et donc influencer la quantité de protéine produite. HIF1A est de son côté un gène qui code pour une protéine impliquée dans la réponse cellulaire à des niveaux réduits d’oxygène. Un site de liaison est une région spécifique où une protéine, en l’occurrence HIF1A, peut se fixer sur l’ADN pour réguler l’activité d’autres gènes. Enfin, COPS5 est un autre gène.
Par ailleurs, les chercheurs ont observé qu’une région d’ADN (amplificateur potentiel), qui pourrait normalement augmenter l’expression d’un gène (COPS5) grâce à la présence d’un site de liaison spécifique à une protéine régulatrice (HIF1A), a été perdue chez cette espèce, entraînant une régulation négative de l’expression du gène COPS5.
Dit plus simplement, cette espèce de chauve-souris semble bénéficier d’une perte génétique qui diminue l’activité de COPS5, ce qui pourrait être lié à la résistance accrue au cancer observée chez ces animaux.
En résumé, ces résultats expérimentaux offrent non seulement des preuves directes de la résistance au cancer chez une espèce de chauve-souris, en l’occurrence Myotis pilosus, mais fournissent également un éclaircissement précieux sur les mécanismes naturels de résistance au cancer chez les mammifères en général.
