Le Royaume-Uni vient de franchir une étape majeure dans la course mondiale à l’intelligence artificielle. Isambard-AI, le supercalculateur d’IA le plus puissant jamais rendu accessible au public britannique, a été officiellement mis en service à Bristol. Avec ses 21 exaFLOPs de puissance de calcul, cette machine de 225 millions de livres sterling peut traiter 21 quintillions d’opérations par seconde – un nombre si astronomique qu’il dépasse l’imagination humaine.
Un géant technologique au service de la recherche publique
Baptisé en hommage à Isambard Kingdom Brunel, le célèbre ingénieur victorien, ce mastodonte technologique héberge 5 448 superpuces Nvidia GH200 Grace Hopper dans une installation sécurisée au nord de Bristol. Pour mettre cette puissance en perspective, un smartphone classique n’effectue que quelques milliers de milliards d’opérations par seconde – soit un million de fois moins que ce titan numérique.
L’investissement est colossal : près d’un million de livres sterling par mois rien que pour l’électricité, principalement d’origine nucléaire. Mais selon Peter Kyle, secrétaire d’État à la Science et à la Technologie, cette « puissance de calcul brute sauvera des vies, créera des emplois et nous aidera à atteindre plus rapidement nos ambitions de zéro émission nette ».
Une stratégie de souveraineté technologique
Cette initiative s’inscrit dans une stratégie plus large de 2 milliards de livres sterling visant à établir la « souveraineté de l’IA » britannique. Jusqu’à présent, seules les entreprises technologiques géantes disposaient d’une telle puissance de calcul, créant un déséquilibre dans l’accès à l’innovation en intelligence artificielle.
« L’une des craintes liées à l’IA est que certaines personnes possèdent la technologie et le savoir-faire et d’autres non« , explique Dima Damen, professeur de vision par ordinateur à l’Université de Bristol. « Notre plus grand devoir en tant que chercheurs est de veiller à ce que les données et les connaissances soient accessibles à tous. »
Certes, Isambard-AI reste modeste face aux géants américains – le supercalculateur d’Elon Musk dans le Tennessee affiche une puissance 20 fois supérieure. Mais cette machine place le Royaume-Uni au 11e rang mondial et ouvre des perspectives inédites pour la recherche publique européenne.
Des applications révolutionnaires déjà en cours
Les premiers projets alimentés par Isambard-AI révèlent le potentiel transformateur de cette technologie. Dima Damen développe un système capable de prédire le comportement humain en temps réel à partir de milliers d’heures de vidéos analysant les mouvements. Grâce à des caméras portables, ce modèle pourrait révolutionner la sécurité sur les chantiers de construction ou aider les forces de l’ordre à anticiper les mouvements de foule.
« L’algorithme pourrait utiliser des données en temps réel pour donner un avertissement précoce indiquant que dans les deux prochaines minutes, quelque chose est susceptible de se produire« , précise la chercheuse, tout en soulignant la nécessité de transparence face aux implications éthiques de telles technologies.

De l’agriculture à la médecine : une révolution silencieuse
D’autres équipes exploitent cette puissance pour des applications plus inattendues. Dans le Somerset, des chercheurs filment un troupeau de vaches 24h/24 pour entraîner une IA capable de détecter les premiers signes de mammite, une infection douloureuse affectant la production laitière. « L’agriculteur s’intéresse évidemment beaucoup à son troupeau, mais il n’a pas nécessairement le temps d’observer toutes les vaches en continu« , explique Andrew Dowsey, professeur de science des données de santé.
Plus crucial encore, James Pope utilise Isambard-AI pour combattre les biais raciaux dans les outils de détection du cancer de la peau. Ses « quadrillions, voire quintillions de calculs » ont révélé que les applications smartphone actuelles fonctionnent mieux sur les peaux claires, soulevant des inquiétudes majeures sur l’équité des diagnostics basés sur l’IA.
L’avenir de la recherche britannique
En association avec Dawn, un autre supercalculateur basé à Cambridge, Isambard-AI forme l’épine dorsale d’une stratégie ambitieuse. L’objectif : transformer la recherche en IA pour lutter contre le changement climatique, améliorer les performances du NHS et stimuler l’innovation médicale et technologique.
Cette initiative marque un tournant dans l’approche britannique de l’intelligence artificielle. Plutôt que de laisser le champ libre aux géants technologiques privés, le Royaume-Uni mise sur un bien public destiné à démocratiser l’accès à la puissance de calcul de nouvelle génération. Une stratégie qui pourrait bien redéfinir l’équilibre des forces dans la recherche en IA mondiale.
