Crédits : Marco Villegas

« Brutal mais brillant » : voici comment les orques s’y prennent pour extraire le foie des grands requins blancs

Dans les eaux du golfe de Californie, une révolution scientifique vient de bouleverser notre compréhension de la chaîne alimentaire marine. Pour la première fois, des chercheurs ont capturé des images qui révèlent comment un prédateur transforme le roi incontesté des océans en proie vulnérable. Cette découverte, rapportée dans Frontiers in Marine Science, remet en question des décennies de certitudes sur la hiérarchie des mers.

Le mythe du super-prédateur s’effondre

Pendant longtemps, le grand requin blanc a incarné la terreur des profondeurs. Films, documentaires et imaginaire collectif l’ont érigé en sommet de la pyramide alimentaire océanique. Pourtant, au large de l’Afrique du Sud comme désormais au Mexique, une réalité différente émerge : face aux orques, ces redoutables squales adoptent un comportement inattendu. Ils fuient. Massivement. Et ne reviennent pas avant plusieurs mois.

Cette observation n’est plus anecdotique. Les scientifiques du Centre interdisciplinaire des sciences marines du Mexique et de Conexiones Terramar ont documenté un phénomène qui confirme une hiérarchie marine bien différente de celle que nous imaginions.

Un groupe d’orques pas comme les autres

Au cœur de cette histoire se trouve Moctezuma, un mâle orque qui dirige un groupe fascinant dans le golfe de Californie. Contrairement à leurs congénères qui se spécialisent habituellement dans la chasse au saumon, aux phoques ou même aux baleines, ce clan a développé une expertise particulière : la prédation des élasmobranches, ces poissons cartilagineux que sont les requins et les raies.

Cette spécialisation représente une première dans le monde scientifique. Erick Higuera Rivas, biologiste marin impliqué dans l’étude, souligne l’importance de cette découverte : observer un sous-groupe d’orques se différencier ainsi témoigne d’un processus d’évolution comportementale en temps réel. Ces mammifères marins, déjà réputés pour leur intelligence, démontrent une capacité d’adaptation et d’apprentissage social qui dépasse les attentes.

Une stratégie de chasse redoutablement efficace

Grâce à des drones et des caméras sous-marines, les chercheurs ont pu documenter avec une précision inédite la technique employée par ces orques. Leur méthode exploite une vulnérabilité méconnue du grand requin blanc : l’immobilité tonique. Lorsqu’un requin est retourné sur le dos, il entre dans un état de paralysie temporaire, devenant totalement inerte et sans défense.

En août 2020 puis en août 2022, un groupe de cinq orques adultes a été observé collaborant de manière coordonnée pour retourner de jeunes requins blancs. Cette synchronisation parfaite révèle une planification collective et une transmission de savoirs entre générations. Les techniques ne s’inventent pas à chaque génération : elles se transmettent, s’affinent, se perfectionnent.

Le foie : un trésor nutritionnel convoité

Une fois le requin immobilisé, les orques procèdent à une extraction chirurgicale. Leur cible ? Le foie. Cet organe volumineux constitue une véritable réserve énergétique pour les grands requins blancs, stockant les graisses et huiles nécessaires à leurs longues migrations. Pour une orque, c’est un festin exceptionnel.

Les observations révèlent un comportement social remarquable : le foie est partagé entre tous les membres du groupe, y compris les plus jeunes. Le reste de la carcasse, lui, est abandonné. Cette sélectivité témoigne d’une connaissance anatomique précise et d’une stratégie de chasse optimisée pour maximiser l’apport nutritionnel.

Des proies juvéniles pour minimiser les risques

Les scientifiques pensent que le ciblage de jeunes requins blancs relève d’une stratégie délibérée. Salvador Jorgensen, écologiste marin, suggère que ces juvéniles pourraient être moins expérimentés face au danger que représentent les orques. Les adultes, eux, réagissent immédiatement et désertent complètement leurs zones de rassemblement dès qu’une attaque se produit.

Cette hypothèse soulève une question fascinante : la peur des orques chez les requins blancs est-elle instinctive ou acquise par apprentissage ? La recherche n’a pas encore tranché.

Des implications pour la conservation marine

Au-delà de l’aspect spectaculaire, cette découverte revêt une importance capitale pour la protection des océans. Comprendre les habitats essentiels de ces orques spécialisées permettra de créer des zones protégées adaptées et de limiter l’impact des activités humaines sur ces comportements rares et précieux.

La récurrence des observations en août suggère également une saisonnalité liée aux cycles de reproduction des requins blancs. Des recherches supplémentaires devront confirmer si cette prédation constitue un phénomène régulier dans le golfe de Californie et évaluer sa fréquence réelle.

L’océan recèle encore d’innombrables mystères. Cette étude, publiée dans Frontiers in Marine Science, nous rappelle que même nos certitudes les mieux établies peuvent être remises en question par l’observation rigoureuse du comportement animal.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.