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Tortue charbonnières à pattes rouges. Crédits : Thierry Pierrard

Vous pensiez que les reptiles étaient insensibles ? Ces tortues vont vous faire changer d’avis !

Peut-on parler de tortues optimistes ou déprimées ? Aussi surprenante que la question puisse paraître, une étude récente menée par des chercheurs de l’Université de Lincoln (Royaume-Uni) vient remettre en question des siècles d’idées reçues sur le monde émotionnel des reptiles. Longtemps considérés comme froids, primitifs et mécaniques, ces animaux pourraient bien éprouver des humeurs durables, comparables à celles des oiseaux ou des mammifères. Et les implications sont loin d’être anecdotiques.

Une approche inédite pour sonder les émotions des reptiles

Comprendre ce que ressent un animal incapable de s’exprimer avec des mots est un défi de taille. Chez les mammifères et certains oiseaux, les scientifiques utilisent depuis plusieurs années des tests de « biais cognitifs », une méthode issue de la psychologie humaine. L’idée est simple : face à une situation ambigüe, un individu optimiste aura tendance à interpréter le contexte positivement, tandis qu’un individu anxieux ou pessimiste adoptera une posture prudente ou évitante.

C’est cette méthodologie que l’équipe britannique a adaptée pour étudier quinze tortues charbonnières à pattes rouges (Chelonoidis carbonaria), une espèce de reptile terrestre vivant en Amérique du Sud. Les chercheurs ont entraîné les tortues à reconnaître deux emplacements dans un enclos : l’un où une gamelle contenait toujours de la nourriture, l’autre systématiquement vide. Une fois ce conditionnement établi, ils ont placé des bols à des emplacements intermédiaires — ni clairement positifs, ni clairement négatifs — pour observer les réactions des animaux.

Résultat : certaines tortues se dirigeaient rapidement (pour une tortue) vers les emplacements ambigus, comme si elles espéraient y trouver une récompense. D’autres, plus méfiantes, ne bougeaient pas ou semblaient renoncer avant même d’avoir essayé. Une différence d’attitude qui ne s’explique ni par l’instinct pur ni par le hasard, mais bien par une disposition émotionnelle durable.

Optimistes, anxieuses… et pleines de surprises

Les expériences ne se sont pas arrêtées là. Dans un second test, les chercheurs ont introduit un objet inconnu dans l’enclos. Là encore, des divergences sont apparues : certaines tortues s’approchaient prudemment pour l’observer, tête tendue hors de leur carapace, tandis que d’autres restaient en retrait, voire ignoraient complètement l’intrus. Ce comportement a été interprété comme un indicateur du niveau d’anxiété des animaux.

Enfin, pour renforcer leurs observations, les scientifiques ont modifié l’environnement des tortues — couleurs, textures — et analysé leurs réactions à ces changements. Là encore, les profils comportementaux se confirmaient : les tortues qualifiées d’ »optimistes » réagissaient de façon plus curieuse et détendue, tandis que les plus craintives ou « pessimistes » faisaient preuve de prudence excessive.

Ce faisceau d’indices permet aux chercheurs d’affirmer, pour la première fois dans la littérature scientifique, que les tortues peuvent être le siège d’humeurs persistantes, indépendantes d’un stimulus immédiat. En d’autres termes : elles ne réagissent pas uniquement au présent, mais sont influencées par des états émotionnels sous-jacents.

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Tortue charbonnières à pattes rouges. Crédits : Thierry Pierrard

Une révolution silencieuse dans la compréhension animale

L’étude, publiée dans la revue Animal Cognition, est bien plus qu’une curiosité académique. Elle remet profondément en question notre hiérarchie implicite des émotions dans le règne animal. Jusqu’ici, seuls les mammifères et certains oiseaux — notamment les corvidés et les perroquets — étaient crédités de véritables états mentaux durables. L’entrée des reptiles dans ce cercle fermé pourrait avoir des conséquences majeures, à la fois sur le plan scientifique et éthique.

Sur le plan évolutif d’abord, cette découverte soulève une question fascinante : les émotions sont-elles un héritage commun à tous les vertébrés, ou sont-elles apparues plusieurs fois, de manière indépendante ? Si la première hypothèse est vraie, alors nos ancêtres communs avec les reptiles — y compris les dinosaures — pourraient eux aussi avoir ressenti de la peur, de la curiosité, ou même de l’ennui.

Mais les implications sont aussi très concrètes : dans un monde où les reptiles sont de plus en plus adoptés comme animaux de compagnie ou maintenus en captivité dans des zoos, il devient urgent de prendre en compte leur bien-être émotionnel. Un reptile mal logé, isolé ou stressé pourrait développer des troubles comparables à ceux observés chez les mammifères. Et jusque-là, personne ne s’en préoccupait vraiment.

Changer notre regard sur les « cerveaux froids »

Notre langage trahit souvent nos préjugés. Parler de « cerveau reptilien », c’est évoquer une pensée archaïque, instinctive, dénuée de nuance. Mais à l’instar des « oiseaux à petit cerveau », les tortues viennent de prouver qu’elles sont bien plus subtiles qu’il n’y paraît.

Et si la tortue d’Ésope avait gagné sa course contre le lièvre non pas grâce à sa lenteur, mais grâce à sa persévérance… et une bonne dose d’optimisme ?

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.