La matière noire reste l’un des plus grands mystères de la physique moderne. Depuis plus de quarante ans, les scientifiques cherchent à comprendre ce qui compose environ 85 % de la matière de l’univers, sans succès. Les candidats classiques comme les axions ou les WIMPs n’ont pas encore été détectés. Une nouvelle théorie suggère pourtant une piste radicalement différente : les gravitinos superlourds chargés, des particules prédites par une version étendue de la supergravité, pourraient être à la fois extrêmement massives et électriquement chargées, et devenir les clés de la résolution du mystère de la matière noire.
Une théorie qui relie particules et gravité
La supergravité N=8 est une théorie mathématique fascinante formulée dans les années 1970 et 1980, qui combine les particules connues du Modèle Standard avec la gravité. Elle contient non seulement des quarks et des leptons, mais aussi des particules gravitationnelles comme le graviton et ses partenaires, les gravitinos. Cette structure offre une symétrie exceptionnelle et pourrait expliquer pourquoi le Modèle Standard contient exactement six quarks et six leptons, sans nécessiter de nouvelles particules.
Krzysztof Meissner et Hermann Nicolai ont récemment revisité cette théorie pour corriger un détail crucial : les charges électriques des particules prédites. Leur travail a conduit à l’apparition d’une symétrie plus générale, K(E10), et à la prédiction de gravitinos superlourds chargés. Ces particules, bien que massives au point d’atteindre des milliards de milliards de fois la masse d’un proton, ne peuvent se désintégrer et pourraient constituer une forme de matière noire très différente de tout ce qui a été envisagé jusqu’à présent.
Des candidats à la matière noire inattendus
Contrairement aux WIMPs ou aux axions, qui sont électriquement neutres, ces gravitinos seraient chargés, avec certaines charges de ±1/3 ou ±2/3. Leur masse colossale les rend extrêmement rares dans l’univers, ce qui signifie qu’ils n’émettent pas de lumière et échappent aux contraintes classiques sur la matière chargée. Leur extrême rareté complique bien sûr leur détection, mais elle les rend aussi compatibles avec les observations astronomiques.
Les scientifiques ont identifié que deux des huit gravitinos chargés pourraient constituer la majorité de cette forme de matière noire. Les six autres gravitinos, bien que présents, seraient beaucoup plus rares. Ces particules ouvrent donc une nouvelle perspective pour la recherche de la matière noire, en proposant un candidat massif, stable et chargé, radicalement différent des propositions classiques.

Vers une détection expérimentale
La détection de ces gravitinos ne sera pas facile, mais des solutions émergent grâce aux détecteurs de neutrinos souterrains. Des installations comme JUNO en Chine ou DUNE aux États-Unis, conçues initialement pour étudier les neutrinos, pourraient également repérer les traces laissées par le passage de gravitinos dans leurs scintillateurs liquides. Le détecteur JUNO, par exemple, contient 20 000 tonnes d’un liquide organique synthétique dans une cuve sphérique de 40 mètres de diamètre, équipée de plus de 17 000 photomultiplicateurs.
Des simulations récentes combinant physique des particules et chimie quantique avancée montrent que le signal produit par un gravitino serait unique et reconnaissable, impossible à confondre avec d’autres particules connues. Ces analyses prennent en compte la radioactivité naturelle, l’absorption des photons et les caractéristiques spécifiques des détecteurs, garantissant la fiabilité des résultats. Si les gravitinos étaient détectés, cela constituerait non seulement la découverte de la matière noire, mais aussi la première preuve expérimentale d’une physique proche de l’échelle de Planck, un pas de géant vers l’unification de la gravité et de la physique des particules.
Une nouvelle ère pour la physique fondamentale
Si ces particules massives sont confirmées, elles offriraient un aperçu direct d’une physique encore inconnue, reliant la structure des particules élémentaires et la gravité. La combinaison de théorie avancée et de dispositifs expérimentaux innovants montre comment la science moderne peut explorer des concepts autrefois considérés comme purement théoriques. La recherche de gravitinos superlourds marque donc un tournant potentiel dans la compréhension de l’univers et pourrait transformer notre conception de la matière noire.
